Un week-end pas comme les autres, où il est question de carte au trésor, d’abus, de droit et de fraternité…

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Ce week-end du 29 et 30 mars 2025 représentait pour moi la 14ème assemblée générale de l’APRC à laquelle je participais. La dixième dans la capitale ! Si ces deux jours ont été pour moi un week-end pas comme les autres, ce n’est pas tant à cause du léger malaise qui m’a tenu éloigné des débats le dimanche matin, qu’en raison de la densité des échanges vécus durant la journée et la soirée du samedi. Deux temps forts m’ont particulièrement marqué.

La réunion des correspondants locaux

Le samedi à 11 h, nous étions une douzaine de correspondants locaux à nous réunir, présents ou à distance en visio, représentant des groupes Aquitaine Sud, Auvergne-Rhône Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Hauts-de-France, Île-de-France et Occitanie. L’objet de cette réunion était de partager ce qui tisse la trame du vécu de chacune de nos équipes locales. Un vécu nourri de l’histoire passée, dont témoigne la présence encore forte des plus anciens. Un vécu ouvert pourtant aux stimulations du présent et de l’avenir, incarnées par de nouveaux visages, porteurs de situations parfois lourdes et complexes, et déclencheurs de questionnements inédits. Est-ce la présence de la carte de France de l’APRC que nous avions sous les yeux ? Le long tour de table auquel nous nous sommes livrés, m’a renvoyé l’image d’une troupe d’explorateurs en train de déplier avec fièvre et précautions une antique carte au trésor. Une carte au trésor est tout à la fois l’empreinte d’un passé éloigné et la promesse d’un avenir radieux… pour peu qu’on parvienne à dénicher le trésor ! Chaque fois qu’une région prenait la parole, j’avais le sentiment de voir se déployer sous nos yeux un nouveau pan de cette carte au trésor de l’APRC. Ici, se donnait à voir le réconfort apporté par une équipe bienveillante et fraternelle. Là, on pouvait lire les impuissances ressenties face aux difficultés à rejoindre les nouveaux adhérents. Ici, s’affirmait la volonté de trouver de nouvelles voies pour nouer des liens malgré les peurs suscitées par la perspective des déplacements. Là, ressortait l’importance du soutien amical et de la convivialité. Ici, de nouvelles adhérentes, au-delà des rencontres régionales, ont pris le parti de se retrouver de temps en temps par WhatsApp. Là, des anciens, un peu tristes d’avoir perdu le contact avec des plus jeunes qui ont profité du soutien de l’APRC, sont heureux de continuer à se voir… Bref, si le trésor ultime convoité par l’APRC, c’est la perspective d’une retraite convenable pour tous, les explorateurs que nous étions avaient bien conscience qu’il y a encore, avant de l’atteindre, beaucoup d’obstacles à franchir et de nombreuses batailles à livrer. Mais je sentais bien que malgré les découragements, il y avait de la joie à savourer cette fraternité intra-et inter-régionale qui continue à se tisser au gré des actions et des rencontres Et je me disais que c’est certainement cette fraternité qui, malgré les tempêtes traversées par l’association, a permis à celle-ci de résister et d’être toujours debout après 47 ans d’existence.

La soirée « Pour une bouffée d’oxygène »

L’autre temps fort de cette journée aura été la soirée « Pour une bouffée d’oxygène », concoctée par deux adhérents, Marc et Dominique, accompagnés de deux invités, un sociologue et une juriste. C’est plus précisément le moment en petits groupes qui a été pour moi d’une intensité imprévue. Nous étions invités à partager ce que chacun.e de nous avait vécu comme abus dans son parcours de vie. La franchise et la sincérité avec laquelle les uns et les autres dans le groupe se sont exprimés sur leur parcours, sur les raisons qui les ont conduits à sortir de l’institution religieuse, mais aussi sur leur prise de conscience des abus de toutes sortes dont ils/elles ont été victimes, m’a beaucoup impressionné. Comme m’avait impressionné, quelques minutes plus tôt, le témoignage de Marc, ancien prêtre diocésain comme moi. Nous ne sommes pas de la même génération, mais malgré les années qui nous séparent et probablement aussi des sensibilités différentes, je n’ai pu m’empêcher de reconnaître dans ce qu’il nous a livré de son expérience une étrange similitude avec ce que j’ai moi-même traversé (comme bien d’autres sans doute). À la fois en termes de privations de droit à laquelle on est confronté du fait que l’on décide de sortir de l’institution. Et en termes de difficultés à se libérer d’un certain nombre d’emprises (psychologiques, intellectuelles, spirituelles, voire affectives) y compris dans une période (je suis entré au grand-séminaire quelques mois après mai 68) où les cadres traditionnels étaient en train de craquer de toute part.

L'« abus social » en termes de « trouble à l’ordre public »

Du coup, je me suis surpris à exposer à mon tour, au sein du petit groupe, des choses de mon parcours que je n’avais encore jamais partagées au sein de l’APRC, y compris avec les membres de notre équipe locale. Il ne s’agissait pas d’un grand déballage, mais bien de mettre en récit nos expériences vécues. La présence dans notre groupe d’Alexandre Pieroni, chercheur en sociologie, était là pour nous le signifier. Un peu plus tard, lors de la mise en commun, il nous aidera à repérer qu’abus psychologique, sexuel, social forment une systémie, un continuum sournois. Jennifer Bilamba, juriste chercheuse à Lyon, suggèrera l’avantage qu’il y aurait à penser ce qu’on appelle « abus social » en termes de « trouble à l’ordre public ». Lors de cette soirée, j’ai le sentiment d’avoir fait l’expérience d’un « en-commun », un mot que j’emprunte à un écrivain qui m’est cher, Patrick Chamoiseau. Selon lui, le terme « commun » installe un partage, tandis que celui de « communauté » détermine un entre-soi limitant ce partage. « Là où l’en-commun accueille, le communautaire peut se révéler exclusif, meurtrier, quand surgit un Autre (une altérité, un imprévisible, un impensable) », écrit-il 1. L’APRC n’est pas une « communauté », mais l’association de citoyens libres qui s’estiment abusés du fait de n’avoir pas été reconnus en tant qu’ils ont en commun – avec d’autres citoyens – d’être des sujets de droit à part entière. Une conviction qui m’habitait déjà, mais qui s’est renforcée encore au cours de ce week-end pas comme les autres…

Michel Nebout

1) Que peut Littérature quand elle ne peut ? P. Chamoiseau. Seuil (Libelle), 2025, p. 79. A ce propos, on mesure l’enjeu qu’il y a à défendre la présence des représentants des AMC au sein du conseil d’administration de la Caisse des Cultes, pour que celle-ci ne se transforme pas en un entre-soi, alors que restés et sortis ont « en commun » d’être ressortissants d’une même caisse de Sécurité Sociale régie par la loi civile et donc tous égaux en droit..