Vivre sans sacrifice

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Maxime Rovere est philosophe et écrivain, né en 1977. Récemment, il vient de publier un ouvrage qui a pour titre « Le livre de l’amour infini » et pour sous-titre « Vie d’Apollonios, homme et dieu ». Edition Flammarion 2024.

Le roman

Ce livre est un roman. Avant d’écrire son texte, Maxime Rovere a collecté de nombreuses informations au sujet de différentes recherches de sagesse qui ont mobilisé les hommes qui vivaient au 1er siècle de notre ère.

Apollonios est né à Tyane, en Cappadoce, peut-être en l’an 17. Jeune, il s’est investi dans la pensée pythagoricienne, puis il a cherché la sagesse en allant rejoindre des sages Chaldéens à Babylone, puis des Bouddhistes et des Hindous au-delà de l’Indus. Après un passage par Rome où il rencontre des Stoïciens, nous le retrouvons en Égypte : il remonte le Nil jusqu’à Méroé, toujours à la recherche de la sagesse des Africains. À Éphèse, il dialogue avec des chrétiens avant de terminer sa vie sur une île grecque.

Les chrétiens d’Occident ont tout fait pour éliminer sa mémoire quand les chrétiens d’Orient ont reconnu en lui un saint homme.

Que penser des sacrifices ?

En rédigeant ce parcours, notre contemporain Maxime Rovere donne à réfléchir au sujet de notre recherche de sagesse. J’ai particulièrement été sensible au thème du sacrifice qui est présenté dans ce livre comme une ligne de clivage. Après cette lecture, j’ai formulé quelques réflexions :

  • Les textes juifs présentent l’évènement fondateur de leur libération : la sortie d’Égypte et leur longue marche dans le désert du Sinaï. Cette Pâque apparaît à la fois comme un évènement politique et comme un évènement religieux. L’évènement sera célébré sous forme d’un sacrifice, réactivé rituellement chaque année.
    Déjà la question du sacrifice avait été posée à Abraham, mais l’ange du Seigneur lui avait dit « n’étends pas la main sur ton fils Isaac » (Genèse 22,12)
  •  Dans le monde hellénistique, nombreux sont ceux qui sacrifiaient ce qu’ils avaient de plus cher pour attirer la bienveillance des dieux. L’Iliade et l’Odyssée offrent de nombreux témoignages dans ce sens.
    Cependant, les rites sacrificiels n’étaient pas une pratique de tous les grecs de l’antiquité.
    A la suite de Pythagore (580-495 avant notre ère), ses disciples se sont mobilisés à la fois pour la recherche mathématique et musicale et pour la quête d’une sagesse, d’un mode de vie qui respecte le cosmos, les dieux et les humains. Ils sont favorables aux cultes rendus aux dieux, mais sans obéissance aveugle aux prescriptions rituelles, sans sacrifice, particulièrement sans les sacrifices d’animaux. Pour ces communautés d’hommes et de femmes, il s’agit plutôt de
    « réaliser le dieu en soi, […] activer les principes qui constituent le cosmos »
    (« Le livre de l’amour infini » – page 154).

L’aliénation sacrificielle à dépasser

  • Le bouddhisme s’est fondé, aux environs du Ve siècle avant notre ère, sur le rejet des sacrifices de l’ancienne religion védique. Il exclut les sacrifices sanglants. Les rites visent à rendre hommage à la divinité, à la vie. Des repas festifs et des offrandes ont pour but de rendre hommage aux dieux et à la vie.
    Pour éveiller à la vie, le bouddhisme s’appuie sur une conduite individuelle, une sagesse. Il développe une ascèse qui permet de sortir de l’emprisonnement des appétits, des désirs exacerbés de façon à s’affranchir des contraintes corporelles, à garder en toute circonstance la sérénité de son esprit.
  • Apollonios de Tyane aurait réalisé un écrit au sujet du sacrifice. Sacrifier, c’est l’action de consacrer aux dieux un être ou un objet qui est ainsi retiré de l’univers profane pour le rendre sacré. Ce n’est pas le sang, ni la fumée qui intéresse les dieux, c’est la vertu de celui qui offre. Le sacrifice est une prière, une manière de reconnaître qu’en dépit de nos calculs et de nos prévisions, nous ne sommes pas les maîtres de notre devenir. Nos actes sont insuffisants. Pour Apollonius, le sens ultime du sacrifice serait de rendre sacrée l’existence même.
  •  Des chrétiens du premier siècle ont interprété la mort de Jésus, tout particulièrement son jugement et sa mort, avec les concepts juifs sacrificiels.

Cependant, quand nous visitons les catacombes proches de Rome, nous voyons un signe gravé dans la pierre : le poisson (IXTUS – Jésus-Christ Fils du Dieu Sauveur). Ce symbole de leur foi est plus répandu que l’instrument de torture qu’est la croix.
Et nous ? Allons-nous mettre l’accent sur la souffrance de la croix ? Sur la souffrance comme purification ? Sur un rite de sacrifice ?
Aujourd’hui, les chemins de libération méritent d’être formulés prioritairement en termes de vie, de partage, de dynamique collective ; l’enjeu de ce langage est que nous échappions à l’aliénation sacrificielle.

Luc GOURAUD