La quête
Privilège de l’âge : je participe de plus en plus régulièrement à des cérémonies de funérailles, les vieux amis tirant leur révérence à tour de rôle, pas toujours dans leur ordre d’arrivée…
Me voici dans une église que je connais bien. J’en étais le curé, il y a 40 ans… Deux laïcs qui s’annoncent « membre de l’équipe funérailles » nous saluent au nom du prêtre responsable. Tiens, un nom polonais !...
La cérémonie se déroule sereinement… Résumé de la vie de celle qui nous rassemble… Lectures… Petits lumignons posés sur le cercueil… Témoignages divers… Musiques douces… Procession où chacun fait devant le corps le geste en accord avec ses convictions : goupillon, salut, inclinaison, main posée sur le cercueil…
Nous approchons de la fin de la cérémonie et du moment où l’on va se congratuler après avoir hésité à reconnaître ceux dont les années ont inexorablement modifié les traits…Auparavant, l’animatrice rappelle discrètement que la communauté chrétienne vit de la participation de chacun, et qu’une corbeille va circuler dans les rangs de l’assistance…
C’est alors que je vois, comme en accéléré, des séquences du film de mon passé !
Mon père, instituteur libre, avant les lois Debré, élevait ses cinq enfants avec le chiche traitement que lui versait la paroisse. Heureusement, il avait la vigueur et la santé nécessaire pour cultiver un grand jardin et élever poules et lapins. Et ma mère ne craignait pas de coudre jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Nous habitions au-dessus des trois classes de la petite école. Un unique robinet sur l’évier de la cuisine servait aussi bien à la vaisselle qu’aux ablutions familiales. Le fourneau tempérait l’hiver les pièces glaciales… Mon père rendit un jour visite à ses « collègues » religieuses de St Joseph qui tenaient l’école de filles, ainsi qu’un dispensaire. Dans un froufrou de robes et de voiles noirs posés sur leurs guimpes et collerettes blanches, elles lui firent l’honneur d’une visite dans leur lieu de vie qui sentait bon l’encaustique. Douches, lavabos, chauffage central… À son retour, mon père remarqua finement :
- C’est elles qui ont fait vœu de pauvreté, et c’est moi qui la pratique !
Il prolongeait ainsi les remarques de son propre père qui affirmait :
- Les curés et les sœurs, c’est du bien brave monde, mais il leur faudrait une demi-douzaine de gosses !
Ma pensée accélère encore le film. Je suis au TASS de Lyon, puis en Appel. Ouf ! Je récupère 11 trimestres de séminaire pour ma retraite Cavimac qui m’en comptera désormais 102 !
C’est alors que mon petit démon intérieur, avec la gouaille propre au gens de ma génération, me souffle à l’oreille, après l’invitation de l’aimable « laïque funérailles » :
- Tiens ! Ils peuvent toujours courir ! J’ai déjà donné ! Et je leur donne encore tous les mois avec ma petite retraite ! Je n’ai pourtant pas fait semblant de bosser pour eux, pendant ces 102 trimestres ! Ils n’auront pas un kopeck de plus !
Mais un petit ange, sans doute dépêché par mes ascendants familiaux, me fait entendre une voix plus douce… Sur les billets de 10 et 20 € qui me passent sous le nez, je laisse tomber, royal, une pièce de 50 centimes.
Jean Desfonds
encore moi!
je ne trouve aucune « condescendance » dans le texte de Jean!
après avoir officié plus de 20 ans comme prêtre, Pierre (qui contrairement à moi continuait de fréquenter la paroisse) a officié plusieurs années comme « laïc chargé de mission »
les familles endeuillées, après avoir souvent protesté contre le fait qu’il n’y ait pas de « curé » étaient très contentes de la cérémonie non stéréotypée et à l’image de la vie du défunt (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas avec un prêtre:!)
.Pierre n’était pas seul en cause, c’était le travail de toute une équipe, et lui même constatait que lors de la préparation les familles se confiaient beaucoup plus que lorsqu’il était « Monsieur le Curé »
de quoi être daccord avec François pour lutter contre le cléricalime! mais ceci est une autre histoire, et il faudrait des pages pour développer…
Est-ce que j’aime l’Institution ? Je la trouve bien imparfaite et souvent injuste… Pendant 12 ans à ma sortie des frères de St Jean, j’ai travaillé comme maître de cérémonie funéraire, J’ai eu l’occasion de voir et côtoyer pas mal de laïcs « ayant reçu lettre de mission de leur évêque » pour présider les funérailles. La plupart le font très bien si d’autres sont plus hésitants.
En effet la quête lors des funérailles pose question quand on sait que la paroisse demande près de 180 € aux familles lors d’une sépulture. (Cette somme apparaissait sur la facture des obsèques et que l’entreprise reversait ensuiteL à la paroisse)
Libre aux familles ensuite de donner de l’argent pour faire dire des messes pour le défunt.
Notre propre situation par rapport à l’Institution après en être sorti est un vaste sujet sur lequel nous pourrions échanger… et elle nous rassemble sur le fait que nous demandions à l’Institution ce qu’elle nous doit.
Personnellement j’éprouve aujourd’hui sérénité et plaisir à avoir repris du service dans ma nouvelle paroisse (ouverture de l’église, participation aux lectures).
Personnellement, je suis contente de voir que je ne suis pas seule à avoir du mal avec la quête : je ne peux pas imaginer de donner la moindre pièce, compte tenu de mon parcours personnel. Il m’est même arrivé de sortir pour éviter la personne chargée de la quête, un peu trop consciencieuse à mon goût …
« Notre propre situation par rapport à l’Institution après en être sorti est un vaste sujet sur lequel nous pourrions échanger…
Personnellement j’éprouve aujourd’hui sérénité et plaisir à avoir repris du service dans ma nouvelle paroisse (ouverture de l’église, participation aux lectures) ».
Je reviens encore sur ce message de B. Deconche parce qu’il me semble qu’il méritait une meilleure réponse : Oui, c’est vrai on aimerait bien parfois reprendre du service mais il me semble que cela sera plus facile pour qui a bien réussi sa réinsertion. Tant que l’on sera affronté aux difficultés générées par un trop long passage en communauté, suivi d’une sortie irresponsable, tant qu’on devra se battre au quotidien avec le temps perdu et l’isolement, ce sera concrètement bien difficile et plus encore moralement …
Je trouve sue c’est un regard quelque peu condescendant sur les acteurs bénévoles de cette cérémonie des funérailles. Il y a du choix en matière d’obsèques aujourd’hui et personnellement je n’éprouve aucune rancoeur quand il faut contribuer à la vie de l’Église.
bravo pour ce texte! voici bien longtemps que je ne donne rien à la qu^te puisque je ne fréquente plus les églises sauf…pour les funérailles! pendant longtemps Pierre a répondu à l’évêque qui nous sollicitait pour le denier du clergé que c’était l’Institution qui lui devait de l’argent puis devant les non-réponses il a abandonné!
J’ai vécu pendant quelques années avec une sœur japonaise qui n’est plus de ce monde. Elle me disait souvent qu’après la deuxième guerre mondiale, le japon a connu une terrible famine (les gens mourraient de faim, stricto sensu). Mais, ajoutait-elle avec une mimique que je vois encore, « dans les couvents, on mangeait bien … ».
La sœur était née dans une famille bouddhiste, Elle avait été baptisée à seize ans ; lucide cependant …