« Aux sévices de l’Eglise »

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Jean-François Laville, auteur de ce livre, est journaliste sportif. Mais, touché au cœur par la rencontre fortuite d’une ancienne religieuse, il quitte ici ses cibles habituelles et, non croyant, marque un essai magistral contre les sévices de tous ordres que génère une religion catholique qui se fourvoie. Il a compris beaucoup de choses…

« Au commencement était l’abus spirituel » : ainsi s’intitule le premier chapitre de ce livre. « Tout commence par l’emprise… les abus de pouvoir ». « C’est quand on prétend dire à un autre ce que Dieu veut pour lui. » (Guilhem Causse, que cite l’auteur)

Le prêtre (ab)use ainsi de l’aura que lui procure son statut, l’abbé ou l’abbesse, le ou la prieure, du pouvoir que sa communauté lui a conféré (parfois à vie !), le fondateur ou la fondatrice de l’admiration de ses disciples béats, pour enfoncer le clou dans la tête de celles et ceux qui leur confient leurs vies.

Abus de confiance, abus de faiblesse

Dans la société civile, dans la loi française, on parle d’abus de confiance lorsqu'un bien ou une somme d’argent a été détournée, d’abus de faiblesse si l’on a profité de l’ignorance ou de la faiblesse physique ou mentale d’une personne. Ces termes ne sont pas utilisés dans la vie religieuse. Et pourtant ! Véronique Margron, présidente de la CORREF, qu’a rencontrée l’auteur, évoque la loi About-Picard, qui vise à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Loi peu applicable, regrette-t-elle, s’agissant d’abus qui se fondent sur la manipulation de traditions religieuses, difficiles à démontrer. Peu applicable également du fait que, explique Jean-François Laville : L’énergie et la force nécessaires à ce combat juridique, sans parler des moyens financiers, découragent rapidement les victimes enclines à se plonger dans ces procédures, d’autant que l’État français, au nom de la sacro-sainte loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, n’a pas une inclination naturelle à juger des affaires de l’Église.

Abus de faiblesse, en ce sens que - C’est là où l’abus spirituel est le plus profond : on a utilisé votre cœur de plus pur, l’essentiel et le plus profond de votre désir de vous donner le plus simplement possible, témoigne sœur Ambre dans ce livre.

Le jeune homme, une jeune femme, qui entre dans une communauté religieuse, un séminaire, est à la recherche de son âme pour la consacrer à Dieu. Il se rend volontairement vulnérable, disponible – et terriblement fragile… De tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, il veut faire confiance et la tentation est grande d’abuser de cette confiance. C’est ainsi que se créent les prédateurs.

Abus sexuels – dont sont victimes des hommes comme des femmes

Aux sévices de l’Église donne largement la parole à des victimes d’abus sexuels, hommes et femmes, que l’auteur a rencontrés. Camille, sa co-autrice, affirme : L’abus n’est pas affaire de genre, on ne s’est pas seulement attaqué à un sexe dans l’Église, mais à la dignité des personnes. J.F. Laville apporte le témoignage de deux hommes abusés, dans lesquels on retrouve les composantes de l’abus spirituel, et commente : Que l’on soit femme ou homme, l’emprise est la même, la douleur et la honte hantent de la même façon les longues nuits sans sommeil.

Abus spirituels, psychologiques, sexuels – mais aussi administratifs, financiers…

Jean-François Laville a contacté l’AVREF, Sentinelle, la CORREF, la Cavimac – et l’APRC. Son travail se veut exhaustif, mais il le sait certainement, c’est impossible tant le sujet est vaste ! Ses témoins parlent des difficultés qu’ils ont eues à se réinsérer lorsqu’ils ont quitté la vie religieuse, souvent sans un sou ou presque, déphasés, déboussolés, perdus… et s’inquiètent de leur futur, lorsqu’ils feront valoir leurs droits à retraite.

Dans le chapitre Religieuses : un vœu de pauvreté pris au pied de la lettre, l’auteur rappelle la lutte que mène notre association : la loi de 1978, les cotisations impayées, les procédures judiciaires, les déclarations « au pair », les manœuvres de la Cavimac et le silence des autorités ministérielles, l’abondement des caisses de la Cavimac par le régime général… Il conclut : Dans le meilleur des cas, au bout de longues années d’angoisse et d’incertitude, ils voient enfin leur droit à une petite retraite reconnu. Au pire, ils ou elles auront perdu de l’argent en procès et surtout beaucoup d’illusions. Parfois, certains vœux de pauvreté se réalisent…

Préconisations et règles de bonnes pratiques – une lueur au bout du tunnel ?

En avril 2023, la CORREF a produit un document intitulé Préconisations et règles de bonnes pratiques, que l’on peut se procurer sur Internet, et c’est du bon travail ! Vous me permettrez quelques citations.

Un des groupes de travail à l’origine de ce document s’est penché sur le thème Discernement vocationnel et formation.

Ce système dans lequel nous sommes actuellement, qu’il soit d’origine ancienne ou récente, peut porter en lui des germes d’abus, de toute-puissance, d’autosuffisance, d’emprises, à travers notamment la culture de la perfection.

Il sera demandé à l’institution de : (…) ne pas infantiliser (…) vérifier et faire croître la liberté de parole.

Le groupe Bon arbre, bon fruit met en garde :

Fructifier n’est pas multiplier, mais ce n’est pas compter non plus. Attention à l’idéologie du nombre. Dénombrer, c’est mettre la main sur ce que l’on dénombre. (…) Le nombre n’est pas signe d’une conformité à la volonté de Dieu.

L’esprit d’enfance n’est pas l’infantile. L’infantile ne reçoit pas. Il se laisse séduire par la toute-puissance magique des figures qui assurent le succès.

Le processus d’emprise trouve toutes ses justifications dans la société close […] jetant la suspicion sur le monde extérieur au groupe.

Évaluer avec précision quel est le rapport à la loi et à la parole dans l’institut visité : L’institut pense-t-il être au-dessus de la loi ? Respecte-t-il le cadre légal (droit du travail, obligations sociales…) […] Être tout particulièrement attentif aux mécanismes de soumission qui s’apparentent à l’obéissance (demander l’autorisation du supérieur pour tout). […]

Dans certaines communautés nouvelles, une certaine façon d’utiliser les Écritures est tordue : ouvrir les Écritures pour chercher comment agir relève d’une pratique magique de la parole.

Ce groupe fait également une Description sommaire du processus de mise en état de faiblesse autour de huit étapes – fondamentale ! Il y est question de personne fascinante, de séduction, d’absence totale de temps libre, de culpabilité devant le doute ou la pensée personnelle, de coupure avec famille et amis – et de former les évêques aux visites canoniques…

Préconisations et règles de bonne pratique ne fait pas l’impasse sur une autre forme d’abus – même si le document n’en parle pas sous cet angle, qui porte sur l’argent, la loi civile, l’aide à la sortie et les droits à retraite.

Jean-François Laville s’est penché avec courage sur la planète Religion, bien plus énorme que le fameux mammouth de l’Éducation Nationale… d’autant plus que bien peu, sur cette planète, ont les pieds sur terre. Souhaitons que son livre soit lu par beaucoup, qu’il fasse réfléchir, qu’il puisse participer à un vrai changement.

Christiane Paurd