La Justice a tranché dans le dossier des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée !

Mais le problème reste entier. Pourquoi ?

 

Il y a une quinzaine de jours, bon nombre de journaux et organes de presse se faisaient l’écho du jugement concernant les Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée (TMI) de la Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD). Ainsi l’Est Républicain titrait le 18 août : « Travail dissimulé : la famille missionnaire Donum Dei condamnée ». Le tribunal judiciaire d’Épinal a rendu son délibéré le mardi 16 août. Il a reconnu coupable cette association qui gérait, entre autres restaurants, “l’Accueil du Pèlerin” à Domrémy la Pucelle, d’exercice de travail dissimulé.
Il l’a donc condamnée à 200 000€ d’amende et à la confiscation de 950 000€ saisis lors d’une perquisition en 2018. “ Somme calculée au regard des arriérés de rémunérations et de cotisations sociales auprès des organismes sociaux.

Les avocats des deux parties se sont affrontés sur la question de “l’exception cultuelle” qui permet aux membres des collectivités religieuses d’être dispensés des cotisations sociales.

Pourquoi cet affrontement ? Où est le problème ?

Les Travailleuses Missionnaires fondées en 1950 (les TM) ne sont pas des « religieuses » au sens canonique du terme. Elles sont, selon la volonté de leur fondateur, le Franc-comtois Marcel Roussel-Galle « des vierges consacrées ». Il est très clair lorsqu’il énonce : « Une Travailleuse Missionnaire est une vierge laïque, tertiaire carmélitaine."

À la différence de la Religieuse, la TM ne marque pas son appartenance totale à Dieu par des Vœux, mais par l’offrande d’elle-même à l’Amour Miséricordieux à travers des Épousailles mystiques avec le Christ. C’est un engagement privé : au jour de ses Épousailles, après avoir communié, le Christ présent en elle, la TM se passe elle-même au doigt l’anneau des Épouses du Christ en signe de son appartenance totale à Lui pour toujours. Elle prononce l’Acte d’Offrande à l’Amour Miséricordieux composé par Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle fait également sa Profession définitive de Tertiaire Carmélitaine, car c’est dans le Carmel que la TM puise sa spiritualité. »

Les premières TM étaient en mission dans le monde ouvrier un peu à la façon des prêtres ouvriers. Elles œuvraient, en France, dans différents milieux de travail déchristianisés: Ainsi, de 1947 à 1958, les premières TM vont s’engager dans des usines, des bars de la région parisienne et auprès des prostituées à Pigalle. Certaines seront envoyées dans des bars du grand port de Toulon ainsi que dans deux usines du Doubs. D’autres encore s’engageront dans des lycées et collèges, dans des hôpitaux, des grands magasins, dans la haute couture, la banque etc, pour reconquérir ces milieux au Christ. À toutes ces femmes rencontrées, les TM cherchent à révéler l’Amour Miséricordieux de Dieu à travers une vie « d’incarnation totale » en se faisant travailleuses au milieu des travailleurs.

Parallèlement, un tournant va avoir lieu à partir des années 1955-1960 : Les TM quittent la France pour la Belgique où elles se regrouperont pour travailler ensemble : C’est la création des restaurants appelés “Eau Vive” pour assurer la survie de leur communauté.

Dans le même temps cette mission prendra une dimension internationale à partir de 1958.car des jeunes filles de 15 à 17 ans, ayant un idéal de vie religieuse, seront recrutées dans des pays du Tiers-Monde pour recevoir une éducation et faire des études en Europe tout en s’engageant dans la famille Donum Dei.

Le parcours de leur formation a été très bien décrit par une responsable des TM :

« La première phase appelée “Aspirât” se passe dans le pays d’origine durant deux années au minimum. L’aspirât permet à la candidate de mieux connaître la Famille Missionnaire Donum Dei, et de discerner si elle est bien appelée à la vocation TM.

La seconde phase est celle des maisons de formation internationales en Europe.

- La première étape de cette formation en Europe, appelée “École d’Oraison”, commence à Domrémy en Lorraine sur les pas de Sainte Jeanne d’Arc - vierge chrétienne- durant une année, puis à Lisieux durant deux années sur les pas de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus – vierge, épouse du Christ nous enseignant la Doctrine de l’Enfance spirituelle ; Thérèse et Jeanne toutes deux nos modèles et chefs de file.

- La deuxième étape de cette formation en Europe se déroule au Studium de la Grâce-Dieu où “elles reçoivent de l’Instruction religieuse supérieure”.

N.B. : D’après les témoignages d’anciennes TM, jusqu’à il y a une dizaine d’années, la formation spirituelle était quasi inexistante trop occupées qu’elles étaient par le travail dans les restaurants l’Eau Vive.

D’après mes sources, c’est lors du regroupement des TM à la Grâce Dieu, vers 2016-2017, au moment où elles quittent Domrémy et Lisieux, qu’elles ont eu l’obligation de se former. L’archevêque de Besançon m’avait affirmé alors, que les TM du Studium seraient inscrites à la faculté catholique de Strasbourg. En réalité, elles ne suivent pratiquement pas les cours en présentiel. Cette faculté alsacienne est sous le régime concordataire donc qu’elle reçoit des subventions de la part de l’État. D’après une autre source les TM, considérées comme des étudiantes, bénéficient du régime étudiant de la Sécurité sociale.

- La troisième étape: l’École Missionnaire, qui se fait à Rome. C’est l’année de formation professionnelle et apostolique dans une communauté internationale.

Durant les six années de formation en Europe, elles s’exercent aussi à la vie communautaire de cette “Famille” internationale. »

C’est à partir de ce moment-là que le bât blesse. Pourquoi ?

Dans leur forme matérielle les restaurants « Eau vive » s’établissent, à la demande de plusieurs évêques, dans les lieux de pèlerinage où le père Roussel voyait dans des « vierges » comme Ste Jeanne d’Arc à Domrémy la Pucelle ou Ste Thérèse de l’Enfant Jésus à Lisieux, des modèles pour les TM qui doivent s’imprégner de leur spiritualité puisque c’est là aussi qu’elles commencent – en principe- leur formation spirituelle, comme nous l’avons vu plus haut.

Il faut savoir que la famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) devient alors sous-traitante des associations diocésaines dans des lieux de pèlerinage prestigieux. Comme le relève le réquisitoire du substitut du procureur des Vosges, M. Antoine Adam, « la FMDD se présente au diocèse de ST Dié comme une congrégation religieuse catholique affiliée à l’Ordre du Carmel ». Il poursuit : « L’association sanctuaire de Jeanne d’Arc versait à FMDD une indemnité mensuelle forfaitaire de 7 294€ et c’était engagée à rembourser les cotisations sociales versées à la Cavimac et à la Mutuelle St Martin pour les TMI. ….Il était précisé dans cette convention que « leur participation ne pouvait être assimilée à un salariat et les sommes versées à des salaires, aucune rémunération n’étant versée aux travailleuses missionnaires individuellement et aucun lien de subordination n’étant créé entre les travailleuses missionnaires mises à la disposition de l’association et cette dernière ».

Cette absence de salaire et le versement d’une indemnité d’entretien furent justifiés par l’application de la circulaire La Marinière du 7 janvier 1966 relative à la situation fiscale du clergé catholique, des congrégations et communautés et des associations, établissements et entreprises qui utilisent des clercs. »

Depuis le début, le père fondateur a joué sur une ambiguïté : les TM sont-elles ou non des religieuses ? Il a présenté cette communauté tantôt comme une association de laïques, tantôt il demandait aux TM de se présenter comme des religieuses. Cette ambiguïté a été pointée du doigt dès 1984 par une commission d’enquête du diocèse de Liège en Belgique.

Ce qui est certain c’est que la FMDD est une association laïque internationale reconnue par les Grands Carmes comme tiers-ordre. À aucun moment, les différentes associations loi 1901 et S.A.R.L. qui la composent n’ont été reconnues comme associations cultuelles qui pourraient appliquer les dispositifs de la circulaire La Martinière

De la Miviludes à l’Inspection du Travail, la requête transmise au tribunal pénal

Dans les années 2014-2015 les TM ont commencé à faire les titres de la presse. “Tout le monde en parle” : Var Matin, Ouest France, La Croix, Le Pays de Caux, Vosges-Matin, La Provence, etc. Tous rapportent le malaise des TM, leurs souffrances. Elles sont “sans droit, ni titre au restaurant de la Bonne Mère” et le réseau est accusé de dérives sectaires et d’exploitation des TM.

Suite à une visite au restaurant “l’Eau vive” de Notre-Dame de la Garde à Marseille, en février 2015, la délégation nationale à la lutte contre la fraude adressait un signalement au parquet de Marseille. Celui-ci faisait suite à des informations recueillies par la MIVILUDES et surtout par la cellule de veille des dérives sectaires de la CEF.

Là, comme à Domrémy, comme à Lisieux le scandale éclate Les réalités vécues par ces femmes qui assurent le fonctionnement des restaurants “L’Eau Vive” sont les mêmes. Arrivées du Burkina Faso, des îles Wallis-et-Futuna, du Vietnam, du Pérou, des Philippines, ou d’ailleurs, elles ne disposent pas de l’autorisation de travailler en France et parfois leur passeport leur a été confisqué. Ces femmes travaillent avec quelques TMI françaises dans le non-respect le plus total des dispositions de la convention collective de l’hôtellerie-restauration concernant les salaires, les congés, les horaires de travail, les cotisations sociales, la médecine du travail, etc. Seules, certaines TMI pouvaient justifier d’une affiliation à la Cavimac qui couvrait le risque maladie et invalidité mais pas les accidents du travail, le droit à la retraite ou le chômage.

Les enquêtes de l’AVREF qui publie « Le livre noir des Travailleuses Missionnaires » font voir l’ampleur des dégâts. (Lisible sur le site de l’AVREF)

Dès son arrivée à St Dié, en 2016, l’évêque Mgr Didier Berthet, étudie le dossier des TM et le 1er octobre 2017 leur retire la gestion de l’Accueil du Pèlerin de Domrémy et leur demande de quitter définitivement ce lieu de pèlerinage. En janvier 2017, à Lisieux «  le contrat de louage de services et de mise à disposition de personnes TM dans les restaurants et hôtelleries de Lisieux » n’est pas reconduit. La plupart des TM de ces 2 sites se retrouvent à La Grâce Dieu.

Par contre, d’autres évêques comme Mgr Pontier à Marseille et Mgr Rey à Toulon continuent à voir dans les TMI « des religieuses qui ont l’estime de tous ».

Nous comprenons dès lors que le débat judiciaire, dès le début de la procédure en 2015, se soit situé sur le terrain du statut des TMI au sein de la Famille Missionnaire Donum Dei. Est-elle une congrégation ou non ?

Tout au long de la procédure l’’association s’est défendue en invoquant son statut de “collectivité religieuse” et de “congrégation” reconnu par le Vatican pour demander sa relaxe auprès du tribunal. Cela d’autant plus que l’administration, notamment à Marseille avait validé le mode de fonctionnement et permis la poursuite de l’activité de restauration à Notre-Dame de la Garde, ù les TM sont toujours en poste. Selon l’avocate de la FMDD, les TM doivent bien bénéficier de « l’exception cultuelle » qui ne les soumet pas au droit du travail.

Quant à Maître Julie Gonidec, conseil de deux ex-TM et de la partie adverse, elle a fait valoir que les ces femmes venues d’Afrique, du Sud-Est asiatique ou d’Amérique du Sud travaillaient « dans des conditions contraires à la dignité humaine », pointant « un système rôdé d'exploitation transnationale ». Sans oublier que certaines TM étrangères ne possédant pas les autorisations de travail nécessaires exerçaient donc du travail dissimulé.

Tout au long de son réquisitoire, le Procureur s’est attaché à démontrer que « la FMDD n’a jamais obtenu de reconnaissance légale en tant qu’association cultuelle ». Malgré une apparente similitude avec la vie des congréganistes – existence d’une collectivité de personnes vivant en commun selon une règle approuvée par une autorité confessionnelle – reste que le statut de la FMDD prévoit explicitement que “les fiançailles” et “les épousailles” sont réalisées de manière privée. Ce ne sont pas là des vœux du point de vue canonique.

Le jugement de 1ère instance

Le jugement du Tribunal correctionnel d’Épinal a tranché : n’étant pas une « congrégation » la FMDD est soumise au droit pénal du travail et doit en respecter les dispositions. D’où sa condamnation à « une amende de 200 000 euros pour avoir recruté, entre janvier 2013 et décembre 2016, des Travailleuses missionnaires de l’Immaculée (TMI) dans les restaurants de sanctuaires de plusieurs villes de France.

Il a également ordonné la confiscation « avec exécution provisoire » des plus de 940.000 euros déjà saisis par la justice durant la procédure sur les comptes de la FMDD, qui était également poursuivie pour « emploi d’étranger non muni d’une autorisation de travail ».

La FMDD a fait appel du jugement, car ses avocats, Me Chardin et Me Boivin soutiennent toujours que les TM bénéficient de “l’exception religieuse“ et “quil n'y a eu aucune infraction sur les personnes. Pas d'esclavage, pas de traite des personnes, pas de dérive sectaire". "On reste sur un problème technique : quel est le régime auquel doit répondre la FMDD, s’interroge Me Chardin Elle poursuit. "Ce qu'on lui reproche, c'est de ne pas avoir cotisé à l'Urssaf" alors qu'elle a cotisé "pendant des années à la Cavimac", une caisse réservée aux cultes”.

Certes, mais l’un n’empêche pas l’autre..

On le voit, à ce jour, le problème reste entier : les TMI sont-elles « une congrégation » au sens canonique du terme ou sont-ce des « vierges consacrées », des laïques membres d’un Tiers ordre carmélitain. Au terme de ce premier round, c’est ce dernier motif qui fonde le jugement d’Épinal.

Isabelle SAINTOT

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