La reconnaissance des compétences professionnelles
Aujourd’hui, bien des prêtres, religieuses et religieux qui quittent leur ministère sont confrontées à une difficulté majeure liée à l’absence du respect du cadre légal du suivi des compétences par l’Église catholique. Nous sommes encore dans un régime d’exception qui fait que l’Église catholique s’estime exemptée d’appliquer ce que les autres organisations en France doivent aujourd’hui mettre en place pour permettre aux personnes qui y travaillent d’être employables tout au long de leur vie.
L’Église catholique continuera-t-elle longtemps à se réfugier derrière une jurisprudence datant de 1912 pour fonder son « exception religieuse » exclusive du droit du travail et de ses conséquences tout au long de leur vie pour ceux qui sont soumis un jour à cette exception ?
On ne peut ignorer plus longtemps que les clercs, les religieuses et les religieux développent des compétences professionnelles valorisables dans d’autres contextes que le simple contexte ecclésial : animation d’équipes, accompagnements personnels et de groupes, gestion de projets, organisation d’événements, etc. La liste est longue mais aujourd’hui laissée totalement invisibilisée au sein de la société française. Et pourtant le cadre est là qui devrait garantir cette reconnaissance.
Le cadre légal de la reconnaissance des compétences
En France, plusieurs dispositifs encadrent la reconnaissance des compétences acquises en situations professionnelles.
- Le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) recense les diplômes et certifications reconnues par l’État. Il garantit que les formations données ont une visée professionnalisante et permettront aux apprenants d’évoluer tout au long de leur vie. On sait aujourd’hui combien la mobilité professionnelle est un enjeu au regard des transformations de la société et du marché du travail. Rares sont ceux qui restent dans un même emploi plus de 5 ans aujourd’hui.
- Les obligations des entreprises en termes de gestion des compétences et d’employabilité. Ce qu’on appelle la GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels) est un dispositif interne aux entreprises qui vise à sécuriser les parcours professionnels des salariés et garantir leur employabilité permanente. Les dispositifs de GEPP sont obligatoires pour les entreprises de plus de 300 salariés et fortement recommandés pour les entreprises de plus de 50 salariés dans le cadre de la négociation obligatoire sur la formation.
- Les dispositifs de VAE (validation des acquis de l’expérience) permettent aux personnes justifiant de plus d’un an d’expérience dans un domaine d’obtenir, après validation de son dossier devant un jury, d’obtenir un diplôme ou une certification correspondant à l’expérience acquise.
Les lacunes de l’Église concernant le suivi et la reconnaissance des compétences
- Encore très peu de formations ecclésiales sont inscrites au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). A ce jour, seules la licence de théologie et sciences religieuses de l’Institut d’Études Religieuses à l’Institut Catholique de Paris débouchant sur le titre de « chargé(e) de mission pastorale » en fait partie, ainsi que le diplôme universitaire de Formation Pastorale (DUFP) de l’Université Catholique de Lyon.
- Qu’en est-il des dispositifs de GEPP et de suivi des parcours de formation au sein des diocèses et des congrégations religieuses ? Là-dessus, la réalité est bien opaque. En tant qu’ancien chargé de formation du diocèse de Saint-Denis, je peux attester que les dispositifs de suivi des compétences des personnels clercs et laïcs étaient réduits et sans aucune obligation.
- Pour la question de la proposition et de financement de VAE et de bilan de compétences pour les ministres du culte quittant leur ministère, on constate une forte inégalité de traitement selon les personnes et les instituts. J’ai encore croisé récemment un ex-confrère qui avait beaucoup de mal à obtenir un financement de son bilan de compétences par une congrégation classique. Sans compter le grand flou sur les CPF (compte personnel de formation) abondés aujourd’hui de manière très inégales selon les Instituts là-aussi.
Vers la reconnaissance des parcours ecclésiaux en termes de compétences professionnelles
On peut suggérer plusieurs pistes pour avancer vers une réelle reconnaissance acquise au fil d’un parcours au sein de l’Église :
- Faire pression pour une généralisation de titres RNCP au sein des parcours de formations des personnels de l’Eglise, laïcs, clercs et religieux afin de donner à ces parcours une vraie valeur sur le marché du travail.
- Obliger les associations diocésaines et les congrégations à la mise en place de dispositifs de GEPP. Ce dispositif ne pouvant pour l’instant être étendu aux ministres du culte, puisque n’étant pas salariés, il s’agirait de faire pression sur la CEF et la CORREF pour que ces institutions mettent en place un cadre réglementaire de suivi de la montée en compétences professionnalisantes des ministres du culte.
- Aller vers une responsabilité accrue de l’Église dans la gestion sociale des ministres du culte afin de garantir leur employabilité en cas de départ de leurs fonctions et/ou de leur ministère.
Sans réaction de la part de l’institution catholique, on peut imaginer qu’un contentieux puisse s’élargir à ces questions et engager la responsabilité de l’État qui ne ferait pas respecter cette obligation. On pourrait imaginer par exemple aller vers une reconnaissance de la discrimination vécue par les ministres du culte par rapport aux autres citoyens français en situation de travail.
Marc Fassier
Membre de l’APRC
Merci pour cette étude qui correspond à un besoin évident absolument ignoré par les communautés religieuses.
Il est vrai qu »il n’y a pas à prévoir une reconversion quand il n’y a pas de départs …L’ APRC a toujours envisagé cet aspect:
Partir…c’est aussi Repartir or la catéchèse, la prédication, la théologie…n’ont pas beaucoup cours sur le marché du travail
Sacré Roger… premier président de l’APRC en 1978… A l’époque les diocèses voulaient ignorer la réalité des prêtres qui partaient en grand nombre. Pour faire entendre vos droits à la retraite, Michel Brion, président de la Mutuelle Saint Martin, vous avaient avertis, « si vous ne vous manifestez pas vous-mêmes dans la mise en place de la loi débattue tout au long de l’année 1977, vous serez oubliés et on ne pourra pas le faire pour vous ». Plus de cinquante ans après l’Eglise de France a préféré ignorer les causes des départs en nombre, et le fait que d’année en année les ordinantions continuaient à s’éffondrer avec désormais un chiffre autour de la centaine… A ignorer aussi que des départs continuaient avec un pourcentage séculaire de (10 à 12%) constaté par les évéques avant le départ massif attribué à la génération dite de 68…
Oui comme tu dis, Marc rapporte une réalité ancienne mais il était plus facile dans les années « glorieuses » de retrouver un emploi… D’autre part cette réalité touche aussi de nombreuses « laîques » appelées à des « missions écllésiales », pour des périodes renouvelables une fois et qui sont soit salariées soit de plus embauchées dans des chartes de bénévolat. Les problématiques des AMC diocésains ont toujours été un peu différentes de problématiques AMC congréganistes et communautés nouvelles… Or ces réalités nouvelles ne sont pas encore assez présentes dans notre association…
Merci Marc pour cet article qui décrit une réalité qui ne demande qu’à changer. Le chemin sera long pour cela mais il est temps d’agir.