Laissé(e)-pour-compte ?
Après les « résolutions » de l’Assemblée plénières des évêques à Lourdes, le 8 novembre 2021, nous serions sur la bonne voiei : « l’Instance nationale indépendante d’attributions » (INIA) décidée par l’assemblée plénière de mars 2021 est devenue « l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation » (INIRR) deux mots remplaçant «attributions». Les victimes seront reconnues mais la réparation inclut-elle l’indemnisation? Ce qui semblait aller de soi le 8 novembre est devenu moins certain le 19 novembre : la Conférence des religieux et religieuses (COOREF) ne rejoignait pas l’instance épiscopale, préférant une « commission » dont elle retirait également l’adjectif « national » : « Commission indépendante de reconnaissance et de réparation » (CIRR) au lieu de INIRR: des subtilités qu’il nous faudra approfondir. Puis des critiques visaient le Rapport CIASE : des chercheurs, des avocats, des membres « éminents » de l’Académie catholique de France en sapaient les fondements. Dès lors « réparations » couvrent-elles toutes les situations prévisibles ? Où se compteront les laissé(e)s-pour-compte ? Les décisions s’appliquent-elles à toutes les institutions revendiquant le label «catho» ? Sont-elles ouvertes aux victimes des agresseurs « laïcs en mission ecclésiale » et/ou de l’Enseignement « catholique » ?
1) Vin nouveau dans une vieille outre
Le vin nouveau est acté par les premiers pas de la présidente de l’INIRR. L’outre en charge de verser les aides, avait été mise en place après l’assemblée plénière de mars 2021 comme « fonds de dotation de secours et de lutte contre les abus sur mineurs » (d’où l’acronyme Se.l.a m) »ii Elle sera ici qualifiée de « vieille », en raison de ses statuts, de sa composition et de la comparaison avec le fonds étatique de garantie des victimes.
Sollicitée pour prendre en charge l’INIRR, et interrogée par BFM/tv, Marie Derain de Vaucresson, tenait à signifier son indépendance : « Elle a été la collaboratrice d’une ministre de gauche et d’une sénatrice de droite. Elle a la réputation d'être une parfaite honnête femme, en plus d'être chaleureuse. Elle est catholique, mais pas catho 'béni-oui-oui' »iii . Au Journal La Croix, elle disait prendre pour modèle le « Président » Sauvé : même liberté de choisir qui elle voudrait. D’emblée elle se démarquait du Fonds SELAM : « je n’ai pas été associée aux questions financières – restent encore des incertitudes sur l’origine des fonds, etc. – et c’est tant mieux. Pour bien mener le travail du côté des victimes, en toute liberté, il est préférable que la commission ne porte pas le souci des finances »iv ; En clair j’établis les factures de reconnaissance et de réparation : vous devrez les honorer telles que nous les aurons décidées !
Le réservoir financier a-t-il vraiment été conçu pour un tel règlement à la demande ? En mars 2021 les évêques s’étaient engagés à faire de leur mieux par une instance, « indépendante », mais dont ils suivraient les recommandations par des aides au cas par cas et non des dûs s’imposant au fonds en charge des paiements. Le 18 juin 2021 était déclaré, à la Préfecture de Paris, le Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs (Fonds SELAM)v. Au départ les membres « fondateurs » versaient quinze mille euros et chaque évêque promettait une obole personnelle sur ses « modestes » revenus. A la veille de l’Assemblée plénière de novembre, le fonds avait récolté autour de deux cent mille euros, il était programmé pour une durée de vie de six ans.
Les éventuels bénéficiaires étaient et sont avertis (page d’accueil du site) : « Le fonds ne peut déployer ses actions de secours et de lutte qu’à partir des sommes qui lui auront été versées par les donateurs ». De l’assemblée plénière de mars, à l’assemblée plénière de novembre 2021 la perspective d’assistance aux victimes était envisagée sur la base de quelques millions. Début novembre, on ne peut pas dire que les diocèses s’étaient vraiment mobilisés, pour doter le fonds des ressources nécessaires. Malgré ce qui était affirmé depuis mars, la plupart des évêques n’avait pas encore versé l’obole du printempsvi. L’objectif d’une dotation de 20 millions au 1er janvier 2022 et plus, si nécessaire dans les années à venir, y compris par souscription d’un emprunt, ne s’est imposé qu’en décembre 2021, les 92 diocèses étant invités (priés ?) à verser autour de 200 000€ en puisant dans leurs réserves ou en décelant un immobilier vendable (calcul mathématique 92 par 200 000€ permettant effectivement d’atteindre l’objectif au 1er janvier, sinon en versements effectifs du moins en engagements de paiement).
A la fin du mois de novembre, les diocèses commencent à annoncer leur participation au fonds ainsi Mgr Le Brun, volontiers précurseur et toujours soucieux d’être dans le vent, promet 200 000 euros dont 64 000 euros ponctionnés sur les legs reçus par les prêtres qui ont commis des abus, pour le reste de la somme « le diocèse de Rouen pourrait se dessaisir de ses biens tant que c’est nécessaire, jusqu’à épuisement s’il le faut ». Le diocèse d’Evreux annonce 73 000€ legs provenant des prêtres auteurs d'agressions sexuelles. Tout au long du mois de décembre 2021 les services communications des diocèses vont faire état de leurs efforts « surnaturels » pour contribuer au fonds SELAM. Le diocèse de Saint Brieuc dont le titulaire Mgr Moutel est président de la Commission en charge des affaires économiques à la CEF, dit qu’il ne pourra donner que 100 000€, le diocèse de Quimper promet 150000€ extrait de 2 legs par deux prêtres abuseurs, Mgr d'Ornellas, archevêque métropolitain de Rennes, donc en surplomb des diocèses de l’Ouest, comblera les manques par une participation de 500 000€ prélevés sur ses réserves. L’évêque de Créteil fait le buzz en annonçant la vente de l’évêché… sans doute un peu trop vite… aux dires de juristes…
Or ces versements volontiers proclamés comme prélevés sur les prêtres abuseurs démontrent que l’ampleur des sommes qu’il faudrait rassembler est méconnue par les diocèses. Qu’un legs soit de 70 000€, les victimes de chaque prêtre ou Frère abuseurs sont rarement uniques. Si donc pour l’un d’entre eux il y a vingt victimes l’indemnisation possible pour chacune serait 3 500€ or, dans chaque diocèse, on pressent que les victimes dépassent très largement ce chiffre de vingt. Prenons l’exemple de l’abbé Tartu, fondateur de la chorale des Petits chanteurs à Loches, Tours et à Amboise dans les années 1990, les victimes demandant réparation, se révèlent, la prescription n’atteint pas tous les dossiers quelle sera la décision des juges civils en terme d’indemnisation ? Quels ont été les dommages intérêts décidés pour le Père Preynat vii? En tout état de cause le témoignage des victimes est poignant, et pas du tout en accord avec une indemnisation autour de 3500€viii
La crédibilité des 20 millions décidés par la Conférence des évêques est plus que sujette à caution… Il appartient aux gestionnaires en charge du fonds SELAM de le faire savoir : sont ils dans un tel état d’esprit? Dans l’interview accordé le 7 janvier 2022 au Pèlerin, le président du fonds est amené à reporter à la fin du premier semestre 2022 le rassemblement des 20 millions qui devaient être réunis au 1er janvier, et à constater qu’un tiers des évêques n’a toujours pas versé l’obole promise en mars 2021 !ix
Dans l’Église catholique on n’est pas élu, surtout s’il s’agit de laïcs, on est coopté et institué par la hiérarchie sacrée avec « lettre de mission ». En l’occurrence la présidence du fonds SELAM a été confiée à Monsieur Gilles Vermot-Desroches, ancien responsable des scouts de France. Le pouvoir réel relève du « vice président de la Conférence des évêques », membre de droit, actuellement Mgr Le Borgne évêque d’Arras. Ce dernier a choisi des personnes déjà présentes dans divers « fonds de dotation » que l’Église catholique a mis en place pour faire appel à la « la générosité du public » grâce aux déductions fiscales… Par ailleurs il a marqué sa préférence pour des DRH, plutôt que des « syndicalistes » au sens large comme le sont les représentants d’associations de victimes. Les critères se sont portés sur des catholiques qui semblent plutôt « béni-oui oui ». Six femmes sur seize (si on peut espérer que le/la représentant-‘e’ du BICE sera une femme). Parmi ces femmes, deux épouses, dont l’époux est aussi membre. Autre choix qui interpelle, une religieuse « espagnole », « Petite Sœur des Pauvres », qui manifestement parlera avec les vécus de sa congrégation et de son savoir faire en matière de recours aux aides de la sécurité sociale et de la puissance publique à l’endroit des personnes âgées que seraient la majorité des victimes. Côté hommes de grands juristes et/ou commissaires aux comptes au fait des finances de l’Église de France, avant tout parisiennes. Toujours au niveau des membres fondateurs, deux prêtres : un vicaire général pour qui « le plus grand scandale de notre époque ce sont les violences faites aux civils dans les guerres »… Il s’agit ici, « mon Père » des victimes de votre/ton Église. Enfin un Père jésuite grand spécialiste de la Mutuelle Saint Martin et de la Cavimac, dans laquelle il refuse un fonds de régularisations des arriérés de cotisation au profit d’aides apportées au cas par cas. Sur tout cela, les lecteurs pourront interroger « les moteurs de recherche » à partir de la liste jointe :
Tels sont donc les femmes et les hommes en charge d’une grande œuvre d’Église selon l’article 3 des statuts du fonds) : « En permettant à la démarche initiée par l’Église de se déployer, le présent Fonds de dotation lui permettra d’accéder à une portée, à une visibilité et à un impact qui dépasseront les limites de l’Église et qui s’inscriront dans l’histoire et l’évolution de la société française dans son ensemble ». Bigre! Ces statuts très cléricaux mériteraient d’être revus de façon plus humble ! Conçu au printemps 2021 comme modèle d’attributions d’aides charitables, le Fonds doit à l’automne 2021, faire œuvre de justice. Pour cet objectif, il n’a pas été pensé à l’instar d’une grande institution de la société civile : à savoir « Le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) »x
Si c’était le cas, le Fonds ecclésial pourrait se prévaloir d’une majorité de femmes dans son Conseil d’administration. Il imposerait une forte représentation ministérielle (= hiérarchique) au sein du CA, à égalité avec un tiers de membres « ayant manifesté leur intérêt pour les victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions ». En outre, le système de valeurs du fonds étatique est ainsi exposé (cf le site):
- « La solidarité : C’est la raison d’être du Fonds de Garantie des Victimes.
- Le respect de la dignité et des droits des victimes : Il est au cœur de la mission d’indemnisation et d’accompagnement.
- Le professionnalisme : C’est un gage de la confiance que les victimes et l’ensemble des interlocuteurs lui accordent.
- L’innovation : Elle inspire l’action du Fonds de Garantie des Victimes afin d’optimiser en permanence l’accompagnement des victimes en fonction de leurs attentes et de l’émergence de nouveaux besoins ».
On pourra rétorquer que ces valeurs relèvent de l’INIRR et que Marie Derain de Vaucresson, a précisément pour tache de les appliquer. Toutefois peut-on dissocier ces objectifs de ceux qui ont la charge des paiements ? Le fonds étatique se garde bien d’une telle dissociation, et il met en avant un principe de départ qui n’est pas du tout dans les statuts du Fonds SELAM : le paiement immédiat de la victime dès lors que son préjudice est reconnu. Le fonds de garantie des victimes, suivant la loi française, avance les indemnisations et se charge ensuite de les récupérer au mieux auprès des coupables et des institutions. Tel n’est pas le cas du Fonds SELAM, qui, par exemple, ne va pas avancer les fonds décidés par l’INIRR ni les récupérer ensuite auprès de l’abuseur, ou de l’institution dont il était ou n’est plus membre.
2) De la justice réparative, à la justice restaurative
Au premier semestre 2022, les indemnisations seraient donc disponibles, et les demandes satisfaites. Tout se passe comme s’il n’y aurait pas un/une «Laissé(e)-pour-compte », même si les versements prendraient quelque temps. Ne sommes nous pas pris dans un leurre collectif? D’abord ne sont concernées, par les résolutions épiscopales, que les victimes mineures au moment des abus. Les évêques écartent d’emblée les victimes majeures abusées par un clerc ou le cléricalisme ecclésial… Or celles-ci existent aussi dans les diocèses! Ensuite le champ diocésain ne concerne que les prêtres abuseurs « incardinés », les victimes d’autres prêtres et religieux religieuses ne relèvent pas du fonds SELAM mais du bon vouloir de chaque « congrégation », enfin l’indemnisation des victimes de laïcs « en mission ecclésiale » risque fort de ne ressortir d’aucun fonds disponible.
Après le 8 novembre 2021, au fil des semaines, un glissement s’est opéré en matière de perspectives d’indemnisation. Sous l’influence de l’assemblée générale de la CORREF , Marie Derain de Vaucresson présidente de l’INIRR, va s’employer à marteler le message : « La démarche de réparation n’est pas toujours pécuniaire » . Dans l’interview du 24 novembre elle découvre une subtilité qui lui avait échappé avant la mise en place par les religieux religieuses de l’instance jumelle CIRR « Comme vous pouvez le constater, le mot « indemnisation » ne figure pas dans les noms donnés à nos instances. Pourquoi ? Parce que la démarche de réparation peut avoir une dimension pécuniaire mais ce n’est pas toujours le cas »xi.
Contre l’assemblée plénière des évêques, l’assemblée générale des religieux et religieuses, s’emploie à rectifier le tir, si on peut dire… Elle rappelle ce que les évêques avaient méconnu : les victimes pouvaient être majeures au moment des abus ainsi les religieuses victimes de prêtre, et de la vie religieuse en général. En ce sens elle prend en compte la partie du rapport Sauvé un peu trop passé sous silence par les épiscopes. En dehors de cette reconnaissance : le message indemnitaire va être minimisé et renvoyé non pas à un Fonds assumé collectivement (diocèses+instituts=Église de France) mais à la responsabilité de chaque institut… Les religieuses renvoyant systématiquement aux congrégations masculines. Un tel renvoi peut se comprendre, cependant il n’interroge pas les problématiques inhérentes à l’Église catholique et relatives à ses particularités vocationnelles, ses vœux perpétuels, son cléricalisme également en vigueur dans les instituts féminins.
Dans le journal La Croix, Christophe Henning rapporte : « C’est donc l’institut religieux en cause qui assurera l’indemnisation de la victime. Dans le cas où cet institut aurait disparu ou n’aurait pas les moyens financiers de l’indemniser, la CORREF puisera dans un fonds subsidiaire de dotation, dont la création a également été annoncée. Il est « pour le moment alimenté à hauteur de 500 000 € », en majorité par les instituts masculins, « qui paieront une cotisation par nombre de religieux en France », a précisé Véronique Margron. Le fonctionnement (bureaux, secrétariat, etc.) de la Cirr sera « assumé par les congrégations féminines ». « C’est notre façon de rendre compte de notre responsabilité », a-t-elle encore précisé »xii La tentation est grande pour nous de mettre ici un point d’exclamation.
Une question fondamentale se pose au niveau de la CORREF : tous les instituts se cachent gentiment derrière leur présidente. Ils critiquent indirectement les évêques : « instance » avait un sens juridique « Organisme, bureau qui exerce un pouvoir de décision, d'autorité ». Les religieux et religieuses s’en détachent, le mot est remplacé par « commission » : « Charge, mission que l'on confie à quelqu'un pour qu'il fasse quelque chose à votre place »… Mandat est donné à Antoine Garapon, et ce mandat n’est pas à priori d’indemniser. On pourrait presque dire au contraire !
Ce constat ressort de l’interview particulièrement signifiante accordée à « justice info net », la question est directe : « L’argent n’est pas la seule équation, mais cela est important pour les victimes. Olivier Savignac, président d’un collectif de victimes des abus sexuels dans l’Église, parle de plus de deux milliards d’euros. L’Église va-t-elle payer ? » Le président Garapon répond : « Je ne suis pas sûr que cela coûte aussi cher (ndlr d’accord mais entre 2 millions et 2 milliards quelle enveloppe devrait s’imposer ?) . Beaucoup de victimes sont âgées et l’argent n’est pas leur problème majeur dans la plupart des cas : que peut-on attendre de l’argent quand l’essentiel de votre vie est derrière vous ? En tout cas, l’Église dit qu’elle est prête à réparer, alors il faut la croire ! Le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, a dit qu’il suivrait le rapport de la Ciase »xiii Pourquoi renvoyer la thématique du côté des évêques, alors qu’il s’agit ici des victimes de congrégations ?
A la justice réparative André Garapon préfère la justice restaurative, « moyen pour les victimes de se réapproprier leur histoire » « Le rôle de l’écrit, de l’écoute, de la parole est très important. Certaines victimes venaient chercher auprès de nous une sorte de validation par la parole de ce qu’elles avaient vécu, pour que la réalité du crime prenne une forme sociale. » Il enfonce le clou : « La réparation ne vient pas seulement réparer des actes formels, elle vient aussi réparer une culture qui a rendu possible de tels crimes dans une quasi-impunité. C’est le fait d’en parler enfin, cinquante ans après, qui répare ». Bon d’accord mais alors quid précisément de cette culture d’Église ? Qu’est-ce qui va la faire changer si d’emblée est éliminée la question des indemnisations. Qu’est-ce qui est le plus à même de faire changer les comportements dans les diocèses et les divers instituts ?
3) Les maquis du label « catho »
Deux milliards pressentis par des sources dignes de foi, 20 millions rassemblés de façon besogneuse par l’Église de France ; un « entre deux » envisagé par le président de la commission mise en place par les congrégations religieuses avec en plus cette parole de confiance à l’adresse des institutions qu’il a accepté de servir : « l Église est prête à réparer, alors il faut la croire ». L’entre deux est particulièrement conséquent : dix fois plus c’est 200 millions que les diocèses devraient mobiliser soit autour de 2 millions par diocèse. On notera pour l’avenir que telle était la base préconisée dans notre article « l’Église de France peut payer »… en suggérant que chaque diocèse fasse un prêt remboursable sur 15 ans…xiv
Quant à 2 milliards c’est 100 fois plus… Dès lors la présidente de l’INIRR, et le président du CIRR font-ils œuvre de crédibilité en martelant que la réparation ne saurait être d’abord pécuniaire ? Par ailleurs en éliminant d’emblée la dimension financière, est-ce qu’ils feront vraiment œuvre de « justice » ? Que l’Église ne puisse payer, qu’elle ne puisse payer autant qu’elle le devrait, tout cela peut s’entendre, mais encore faut-il avoir la franchise d’un langage de vérité.
Tels sont non-dits en ce début de mise en place des deux instances en ce mois de janvier 2022… avec en plus l’occultation par les diocèses et congrégations de la face cachée de l’immense iceberg lié au chiffre potentiel de 330 000 victimes. Sur son site la CIASE indique sa mission désormais terminée. Pour les suites elle écrit: « L’activité de la commission est donc maintenant éteinte mais vous pouvez déposer votre témoignage sur la messagerie dédiée de la Conférence des Évêques de France, paroledevictimes@cef.fr, ou de la Conférence des religieux et religieuses de France, ecoutevictimes@CORREF.fr ». Les structures de justice restaurative mises en place par la CEF et la CORREF se déclareront-elles compétentes pour toutes les demandes qui pourraient leur être faites à partir d’une responsabilité « catholique » ? La réponse est à chercher dans les décisions de ces deux instances : la CEF s’est engagé à reconnaitre et à réparer (si possible sans indemnisation) ses prêtres abuseurs, laissant aux congrégations la charge de leurs propres abuseurs. Allons plus loin la CORREF peut-elle avoir une responsabilité pour les instituts qui ne sont pas adhérents, ou dont elle a refusé l’adhésion ?
Voilà que s’ouvre devant nous l’immense face cachée des communautés dites nouvelles et des associations de fidèles jouissant du label « catho » mais pas de la responsabilité des évêques ni des supérieurs majeurs inscrits à la CORREF et donc que l’INIRR et la CIRR n’auront pas vocation à prendre en charge… Combien de laissés(es)-pour-compte à ces divers titres. Prenons l’exemple de Monsieur Gilles Vermot-Desroches président du fonds SELAM, va-t-il parrainer l’indemnisation des victimes du monde du scoutisme dont il fut par ailleurs président dès lors qu’il ne s’agira pas d’un prêtre diocésain abuseur ? A qui renverra-t-il la charge de l’indemnisation ? S’agissant par ailleurs des Frères des écoles chrétiennes et autres Frères, si le Frère abuseur est retourné à la vie civile, la congrégation assumera-t-elle la part de responsabilité qui lui incombe, où se lavera-t-elle simplement les mains ?
De même encore s’agissant de « laïcs en mission ecclésial » (LEME) quelle véritable attention aux victimes de la part de l’évêque diocésain qui prétextera de diverses raisons pour dire que le contrat a été rompu. Quant à l’Enseignement catholique il est instructif de lire le communiqué de presse de son président Philippe Delorme en date du 5 octobre 2021 : « La remise ce matin du rapport de la CIASE m’a profondément touché […] Au nom de l’Institution, et me joignant aux paroles de Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort et de Sœur Véronique Margron, je tiens à exprimer ma honte et à demander pardon à tous ceux qui ont été victimes d’abus sexuels au sein de nos établissements. C’est tous ensemble, au sein de nos communautés éducatives, que nous devons mettre tout en œuvre pour que de tels actes ne se reproduisent pas. Nous avons une responsabilité majeure qui nous engage pour l’avenir. Il nous faudra ainsi nous saisir des préconisations de la CIASE qui nous concernent pour amplifier et améliorer les dispositifs mis en place au sein de l’Enseignement Catholiquexv ». En réalité un langage souvent entendu de la part des évêques et de la CORREF : ok des abus ont été commis dans le passé mais « croix de feu, croix de fer » allez en paix on ne recommencera plus. On a mis tout en œuvre pour que dans le futur ces abus ne se reproduisent plus.
Au terme de ce parcours, comme un sentiment d’immenses malentendus collectifs… Un puissant haro sur les évêques en première ligne, mais tellement de dérobades d’abord de la part des religieux et religieuses se cachant derrière les paroles fortes et sincères de leur Présidente Sœur Véronique Magron unie en cela à la solitude de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, agenouillé à Lourdes devant la Croix. Où sont les soutiens de ces deux représentants que certains torpillent en coulisse. Quant à ces deux structures (CEF et CORREF en première ligne), quelles solidarités sont elles prêtes à accorder aux « communautés nouvelles » et « associations de fidèles » pour l’indemnisation de leurs propres victimes. En définitive qui sera solidaire des laissé(e) s-pour-compte n’entrant pas dans les sphères INIRR et CIRR ? Qui les prendra en charge ? Quant aux fidèles « cathos » de tous âges, ayant approché à divers moments de leurs parcours spirituels, ces drames cachés et occultés pour ne pas nuire à leur Église, continueront-ils de regarder ailleurs, refusant toute véritable participation et contribution à l’œuvre de réparation qui pour être crédible doit être personnelle et collective, en pensées, en paroles, par actions… et sans omission.
Jean Doussal, 10 janvier 2022