L’entrée en vie religieuse, un sujet mal traité ?
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La conférence a pour thème « L’entrée en vie religieuse, une réalité en constante évolution ». Raphaël Zbindnen sur CATH.CH, rapporte l’événement : « La quarantaine de chaises installées dans la salle de paroisse du Christ-Roi, à Fribourg, sont toutes occupées. Des religieuses et religieux sont certes présents, mais aussi un public intéressé par la vie consacrée » (1). En réalité, peu de jeunes susceptibles d’en témoigner. Les sorties de la vie religieuse étant simplement évoquées, nous avons interrogé Isabelle Jonveaux, la conférencière. Elle nous a répondu : « Je suis tout à fait d’accord que la question des sorties est essentielle, mais encore une fois, l’idée de la conférence qui m’a été demandée était de savoir qui sont ceux qui entrent actuellement ; on ne peut pas tout traiter en une intervention. Mais j’ai évoqué des points sur des sorties au cours de la formation dues à des structures notamment d’autorité non adaptées qui n’apparaissent pas dans le compte rendu du journaliste »
1) Esquisse des entrées actuelles
« Un tableau réalisé en Autriche sur 70 ans montre que l’âge d’entrée dans une communauté n’a cessé d’augmenter. De 22,1 ans en moyenne durant la période allant de 1952 à 1965, il est passé à 33,6 ans entre 2011 et 2024 ». Cette sociologie implique une « vie avant », le passage d’une vie dépendant de l’autorité du père à celle du couvent, à la réalité présente : l’obéissance ne peut plus être vue comme « institution totale ».
« Les ‘entrants’ viennent aujourd’hui en grande partie de familles très pratiquantes dans des milieux favorisés à très favorisés. Leur socialisation s’est faite souvent dans des groupes de jeunes associés au catholicisme, tels que les scouts d’Europe. Une bonne partie ont également été servantes ou servants de messe ». Fraternité et spiritualité sont aujourd’hui prioritaires dans ces entrées, avec souci de « rupture prophétique ». « La « joie » se situe également en bonne place. Alors que le sacrifice ou l’ascèse ne sont plus à l’ordre du jour ». À l’heure des questions, un sujet fait débat : Internet et la vie religieuse ? Les participants sont ouverts à la question, une religieuse âgée constate « finalement, tous ces entrants ont la même soif de Dieu et l’humanité est toujours la même. »
L’ensemble de l’article est à prendre en compte pour des constats auxquels nous pouvons adhérer, mais « La chute impressionnante des vocations, en tout cas en Europe, est un constat qu’Isabelle Jonveaux ne peut éviter ». Sauf que dans le cadre de cette conférence, les participants n’osaient pas aborder la question sous cet angle.
2) Les failles d’un système
Les entrées étant placées sous le signe « d’une réalité en constante évolution ». Leur éclairage par les sorties est de fait essentiel. La majorité des entrants retournera à la vie civile… que ce soit du côté des séminaristes ou des novices n’ayant pas encore prononcé un engagement définitif. Ensuite, plus on sera resté longtemps dans ces « vocations consacrées » plus les conditions de sorties seront difficiles. Enfin, lorsqu’on reste, il arrive un moment où, demeurant en souffrance, le retour à l’état « laïc »… n’est plus possible. Autant de réalités qu’un document de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) cherche à corriger (2).
Son « Vademecum des droits des religieux et religieuses » (3) a vu le jour le 24 novembre 2023. Il vise « le nécessaire rappel du droit dont le but est de protéger chacun ». Il cherche à sortir des « réalités » négatives. Pointant les communautés nouvelles la Corref relève : « des épisodes et des situations de manipulation de la liberté et de la dignité des personnes n’ont pas manqué ces dernières années – et en particulier dans les instituts de fondation récente ». Des constats que la conférence française oublierait pour ses propres adhérents (4) ?… alors qu’un document datant de 1998 et préfacé par le Père Julien Potel, sociologue sous le titre : « Enquête auprès de celles qui ont quitté la vie religieuse » (5), pointait, aussi et tout autant, les institutions plus anciennes.
Rapprochant les témoignages féminins de ses travaux sur les prêtres, le préfacier constatait : « Cette enquête serait à rapprocher des résultats concernant les prêtres qui ont cessé leurs activités. […]Les ex-congréganistes comme les prêtres mariés ont eu en général de grosses difficultés pour s’insérer dans la société, en particulier avec le logement et le travail... Passer de “Ma sœur” ou “Ma Mère”, personnages plus ou moins connus, à “Mademoiselle” ou “Madame”, personnes anonymes qui doivent vivre comme les autres, est une rude épreuve. […]. Des recherches sur femmes et prêtres mariés dans notre société ont montré les aspects positifs des décisions prises, en particulier la découverte de l’amour humain et du couple et un approfondissement de leur foi, avec aussi des échecs et des distances prises par rapport à l’Église catholique. Comme serait intéressante une tout autre enquête sur les manières dont les ex-congréganistes vivent leur affectivité dans le célibat et l’amour humain ! Comment ces baptisées vivent-elles aussi – parfois bien difficilement – la foi chrétienne et l’évangile ? Quels rapports ont-elles avec l’Église ? »
(3) Aux réparations difficiles à obtenir
De façon constante, l’Église catholique ne prend conscience qu’après coup des vigilances dont son système vocationnel a pu faire défaut. Le 25 janvier 2025, une nouvelle « Commission Indépendante d’Étude Pluridisciplinaire » est mise en place, cette fois pour les Foyers de Charité (6)… Isabelle Jonveaux ayant été appelée à en faire partie, nous faisions en même temps le constat que cette commission n’incluait pas les « partis ».
Leurs histoires longtemps négligées seraient davantage entendues aujourd’hui, mais sans qu’une place structurelle ne soit donnée à leur représentation spécifique. Ainsi une fois de plus pour cette nouvelle commission aucun membre issu d’une sphère associative habituée à écouter et entendre les témoignages de « vocations manquées », ou plus exactement d’orientations nouvelles en liberté de conscience d’hommes et de femmes retrouvant ailleurs la fraternité et la spiritualité. Rappelons que les structures d’aides sont nombreuses, à la fois anciennes APRC, AVREF, Envers du décor, Sentinelle… mais aussi toute nouvelle Réseau Véro, Fraternité Victimes. La particularité de l’APRC et de son site est de voir les questions sous l’angle des conséquences du temps passé comme ministre d’un culte ou membre d’une collectivité religieuse sur les pensions calculées à l’âge légal des départs en retraite… Un sujet que les membres dans le système oublient de traiter lorsqu’ils sont encore jeunes ou loin du troisième âge. Nous sommes là pour eux avec les autres associations.
Jean Doussal
(1) L'entrée en vie religieuse, une réalité en constante évolution
(2) Voir le billet de Cécile Azard site : aprc.asso.fr
(3) Un vademecum pour les droits des religieux et religieuses
(4) En effet, la Corref refuse, depuis 2010, l’adhésion des communautés nouvelles tant que les accusations d’abus n’ont pas été régularisés
(5) Aprc.asso.fr - des femmes prennent la parole enquête
(6) Lancement de la Commission Indépendante d’Étude Pluridisciplinaire sur les Foyers de Charité