Regard sur le “Vademecum des droits des religieux et religieuses” publiées par la CORREF

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Écrit le 30 janvier 2024 et le 12 mai 2024 - Cécile Azard

Le 24 novembre 2023 la CORREF a publié un vademecum des droits des religieux et religieuses. Rédigé suite aux révélations du rapport de la CIASE, par décision de l’assemblée générale d’avril 2023 pour “être portée à la connaissance de toutes et de tous.”

Nous pouvons saluer la décision de faire ce travail à la fois de compendium et de réflexion,

l’émission publique de ce texte et le leadership et le travail patient et persévérant de Véronique Margron pour faire avancer l’Eglise sur cette question de la défense des droits des personnes, faire connaître aux religieuses et religieux leurs droits est une “bonne étape” pour éviter les abus !

Que contient ce texte de neuf pages ? Une longue introduction de trois pages qui explique pourquoi et comment ce texte est né. Si un tiers du tiers du vademecum traité de ce point, c'est bien parce qu'il est central ! La question est au fond : Comment articuler les vœux religieux et les droits des religieux ? C'est un exercice d'équilibriste !

Ensuite, les droits sont divisés en quatre chapitres : I - Droits et vie communautaire, II - Droits et vie privée, III - Droits économiques et sociaux, IV - Droits et recours.

Ce qui nous concerne plus directement pour notre engagement pour une retraite convenable se situe dans la partie III. C’est sur ce point que je vais donc m’arrêter maintenant.

On peut saluer le début de l’article 27, que je cite en entier : ”Tout religieux, dès l’entrée en vie commune, a droit à une protection sociale tant pour la santé que pour la vieillesse, selon la loi française et les directives subséquentes de l’Eglise de France. Chaque religieux ou religieuse, résidant en France, doit être inscrit à la CAVIMAC, sauf s’il bénéficie d’un autre régime de protection sociale obligatoire [Par exemple comme salarié ou au régime agricole].” Nous savons, par l’accompagnement que nous faisons des personnes qui sortent de la vie religieuse, qu’un certain nombre de communautés, notamment nouvelles, n’ont pas cotisées pour leurs membres, au moins pendant une partie de leur carrière. Et nous ne parlons pas des associations privées de fidèles et autres structures qui déclarent leurs membres au pair ou créent des systèmes pour ne pas payer de protection sociale. Réaffirmer ce droit fondamental est vraiment un point important de ce document. On ne peut que saluer cet article et reconnaître qu'il est aussi le fruit du travail patient de L'APRC. Les communautés commençant à cotiser à la CAVIMAC pour leurs membres “dès l’entrée en vie commune”.

Par contre, la deuxième partie sur les séjours à l’étranger est problématique. “Chaque religieux ou religieuse, résidant à l’étranger mais dépendant d’une structure française (Province, région…), a droit à une protection sociale au moins pour la maladie et, si possible pour la vieillesse.” Un certain nombre de communautés envoie leurs frères ou sœurs à l’étranger, si la protection sociale est prévue, la protection vieillesse est laissée en marge “si possible”. Comment faire pour respecter le droit des personnes ? Si les religieuses / religieux sont envoyés à l’étranger par leur communauté et qu'ils décident finalement de quitter leur institut, ils peuvent se retrouver en difficulté par cette absence de cotisation pendant 2, 7, 15 ans parfois ! Certes, à l’impossible, nul n’est tenu mais cela est problématique pour un certain nombre de nos adhérents que nous accompagnons pour la récupération de leurs trimestres manquants.

Quant à l’article 31 sur les religieux qui sortent ou sont renvoyés, Art. 31. Tout religieux, toute religieuse, sorti ou renvoyé, sera traité par son institut « avec équité et charité évangélique » Il sera alors tenu compte de la situation personnelle de l’intéressé.” Le vademecum cite le fameux canon 702 §2 du CIC qui demande que l’Institut traite le religieux “avec équité et charité évangélique”. Cette expression est terrible car elle permet de mettre tout et surtout rien derrière. Peut-être qu’un institut estimera que cette ‘équité et charité” sera de donner pendant un an l’équivalent du SMIC au frère ou à la sœur qui quitte son institut, mais cela peut être interprété comme ne donner presque rien, comme c’est le cas assez souvent. Certes l’ajout qui se veut personnalisant : “Il sera alors tenu compte de la situation personnelle de l'intéressé.” est louable. Mais en entendant les récits des personnes sorties ou sortantes, les intéressés sont souvent laissés vraiment en état de précarité ! Le fait de ne rien dire de concret n’aide pas les communautés à saisir ce que c’est de sortir, le choc que cela reste pour beaucoup, même quand c’est choisi à tous les niveaux : humain, psychologique, spirituel et aussi matériel et financier ! Et sont laissés de côté toutes les communautés qui n’en sont pas officiellement.

Véronique Margron, présidente de la COREFF, a conscience de la réalité. Dans une lettre qu’elle nous a adressé récemment, elle nous disait : “Je ne peux que partager la plupart de votre analyse et tout cela fait partie de mes engagements ordinaires et constants. Vous savez que la CORREF n’a aucun pouvoir sur les communautés qui en sont membres - encore moins sur les autres type Point-Coeurs, Verbe de Vie ou FMRI.” Ceci est un vrai défi, car sans “obligation”, il ne reste que le “vœu pieu” sans effectivité ou la différence qui va être lié soit à la communauté, soit même au lien que la personne entretenait avec son/ sa supérieur/e !

Nous comprenons bien ce défi de la CORREF qui n’a en fait aucune autorité réelle sur les supérieures, mais du coup, cela n'aide pas ceux qui sortent à être réellement libres de leur choix, car la pression financière - comme dans d'autres contextes non religieux - peut être une cause de “rester” malgré les abus car on ne peut tout simplement pas s’en sortir sinon, ou du moins, on peut avoir cette impression.

Un point important que je voudrais souligner sont les références utilisées par ce texte. Il y a énormément de références au code de droit canonique, ce qui est logique, c’est le droit qui régit l’Église catholique. Et il est vraiment précieux d'avoir ainsi un compendium des droits des religieux, car connaître ses droits est le premier pas pour pouvoir les défendre et le fait d'intégrer dans la formation des religieux dès l'article 1 la formation au droit canonique va dans ce sens. Et le fait de demander à ce que les frères et soeurs le connaissent est un point positif fort de ce vademecum.

Les autres textes ecclésiaux cités sont très liés à l’époque de Jean Paul II, Vita consecrata (1996), Le service de l’autorité et de l’obéissance (2008) et sont assez “classiques” dans le langage ecclésial. Je souligne la grande de place laisser dans le vademecum au texte A vins nouveaux, outres neuves (2017), qui posent de nombreuses et très pertinentes questions. Ce texte a parfois été lu dans les communautés. Il demanderait à être sérieusement travaillé et non seulement lu !

Nous avons un texte de Jean-Claude Lavigne qui a travaillé la question des abus dans la vie religieuse et qui interroge la manière dont les vœux sont vécus dans les communautés : Jean-Claude LAVIGNE, Pour qu’ils aient la vie en abondance, Cerf 2010. L’auteur a accompagné de nombreuses communautés en souffrance et a été un des premiers à poser les questions sur les vœux religieux et la manière dont ils pouvaient être “déformés”...

On peut souligner la référence au droit français et Européen. L’effort de mise en conformité des droits des religieux au droit local non ecclésial est une démarche louable. Cela ne concerne pas tous les sujets, plutôt les droits privés ou personnels : secret de la correspondance (art. 20), droit de vote (art. 21), choix du médecin et secret médical (art. 22), accès aux archives le concernant (art. 25), accès à un avocat en cas de procédure civile ou canonique (art. 33).

Enfin, on notera les références aux textes majeurs qui défendent les droits humains dans la note 8, qui situe dès le départ ce vademecum dans ce cadre des défenses des droits humains. Une des rares obligations du religieux dans ce texte est la dénonciation des abus à l’article 24 : “Chaque religieux ou religieuse a le devoir de signaler aux autorités civiles et religieuses, outre les crimes…” cela contraste avec les “a le droit” présents dans les autres articles…. Je me souviens avoir accueilli avec soulagement la clarification du pape François sur le fait qu’un religieux qui dénonce un abus ne contrevient pas à son vœu d’obéissance, même quand son supérieur lui a interdit de les dénoncer. J’avais moi-même été malmenée par toutes les personnes en autorité (supérieurs, évêque, accompagnatrice…) quand j’ai voulu mettre en lumière un crime commis par un frère… “au nom de la sainte obéissance”...

En conclusion, ce vademecum est une bonne nouvelle car il permet de nommer officiellement aux “supérieurs” un certain nombre de droits fondamentaux de la personne, incluant les droits sociaux. C’est une étape, un moyen pour aider les personnes à avoir conscience de ceux-ci et de leur permettre - éventuellement - d’en demander la mise en pratique.

Après, nous savons d’une part que ce vademecum n’a pas force de loi, les communautés peuvent décider de s’en saisir ou pas, que d’autre part, la générosité des candidats à la vie religieuse ne leur fait pas toujours saisir l’importance de ces droits et de leur mise en œuvre. Force est de constater que c’est souvent “après coup”, qu’on saisit ce qui s’est passé.