Séparatisme versus inclusion ?
Dans le cadre de l’examen à l’Assemblée nationale du Projet de loi confortant le respect des principes de la République, dite “Loi séparatisme”, le 28 janvier dernier, le député LREM François Jolivet a annoncé avoir déposé un amendement visant à proscrire « l’enseignement de l’écriture inclusive »1. Sans être un adepte inconditionnel de celle-ci - je ne suis pas sûr d’en avoir compris tous les enjeux et encore moins toutes les règles d’usage !-, j’avoue avoir été surpris par la démarche du député. Vouloir proscrire une pratique dont l’objectif affiché est d’éviter dans le langage ou l’écriture toute discrimination sexiste, et cela dans un texte de loi censé renforcer le respect des principes de la République, parmi lesquels l’égalité femmes-hommes, avouons que la démarche est quelque peu incongrue, voire totalement contradictoire !
Si la démarche du député a retenu mon attention, c’est parce qu’à la même période et à propos du même projet de loi, notre association venait de se livrer à ce qu’il convient d’appeler un « exercice d’écriture inclusive ». La discussion à l’Assemblée nationale du « Projet de Loi visant à conforter le respect des principes de la République » nous semblait une occasion rêvée d’interpeller une fois de plus les parlementaires sur les anomalies du régime des cultes et leur demander d’inclure dans le texte un amendement destiné à y mettre fin.
Un exercice difficile
Si depuis quelques années, à l’occasion du débat annuel sur le PLFSS, nous sommes familiarisés avec le dépôt d’amendements, dans le cas du Projet de loi sur le séparatisme, ce n’était pas aussi simple qu’il paraît. Le texte, on le sait, est fortement contesté par une partie de l’opposition au prétexte qu’en visant l’islamisme radical, il risque de remettre en cause la liberté des autres cultes et l’équilibre qui avait été trouvé grâce à la Loi de 1905. En examinant le contenu et la structure du texte, il nous a paru plus judicieux d’insérer un amendement sous le Titre I : « Garantir le respect des principes républicains et des exigences minimales de la vie en commun dans une société démocratique ». Et plus précisément à l’article 1er consacré aux « Dispositions relatives au service public ». Cet article vise à imposer le respect des principes de laïcité et de neutralité par tout organisme – public ou privé – chargé de l’exécution d’un service public.
D’où notre proposition :
Article 1er- Après l’alinéa 2 insérer l’alinéa suivant : Les organismes chargés de l’exécution d’un service public qui ont lésé les personnes relevant d’eux, à la suite du non-respect de l’ordre public ou des principes de laïcité et de neutralité, sont tenus de prendre les dispositions nécessaires pour réparer les préjudices ainsi causés et rétablir ces personnes dans leurs droits. |
Le 18 janvier, cette proposition d’amendement a été adressée à l’ensemble des députés membres de la Commission spéciale chargée du Projet de Loi. Il est hélas arrivé juste après la date limite du dépôt des amendements (19 janvier) pour l’examen en commission. Mais il était dans les temps pour l’examen en plénière et pour la deuxième lecture qui aura lieu après le passage au Sénat. L’ensemble des sénateurs membres de la Commission des Lois du Sénat, l’ont également reçu. Ajoutons que quelques-uns de nos adhérents se sont chargés de l’adresser à des parlementaires locaux ou figurant parmi leurs relations. Au total 150 parlementaires environ ont pu en prendre connaissance.
Quelle chance d’aboutir ?
Examinons le raisonnement à la base de cet amendement. Il se fonde sur le fait que le texte du Projet de loi n’envisage pas le cas de figure où un organisme chargé d’une mission de service public lèse les personnes qui relèvent de son action en plaçant la loi religieuse au-dessus de la loi civile. Nous savons que c’est le cas de la Cavimac, ainsi que l’ont montré de nombreux arrêts en justice.
C’est pourquoi l’exposé des motifs explique comment, depuis plus de 40 ans, la Cavimac entretient une injustice à l’égard des assurés par la dénaturation de la Loi n° 78-4 du 2 janvier 1978 qu’elle est pourtant chargée d’appliquer. Et il conclut : « Cet amendement vise donc à réaffirmer la primauté du droit républicain sur la loi religieuse (droit canon, charia, etc…) ».
Notre amendement a bien une visée inclusive, car non seulement il rappelle que les règles religieuses propres aux différents cultes sont circonscrites par la loi républicaine qui définit les droits et les devoirs de chaque citoyen. Mais il exige qu’en soit tiré toutes les conséquences lorsqu’en raison du non-respect de ce principe les droits de certains citoyens ont été violés. L’amendement pose l’obligation pour l’organisme incriminé de réparer le préjudice causé.
Cet amendement a-t-il une chance d’aboutir ? A vrai dire, la chance est mince. Pourquoi ? Parce que l’article 1er dans lequel nous proposons de l’inclure vise principalement à imposer le respect de la laïcité et de la neutralité aux agents de ces organismes dans l’exercice de leur mission de service public, de sorte « qu’ils s’abstiennent de manifester leurs opinions politiques ou religieuses et traitent de façon égale toutes les personnes ». Dans le cas de la Caisse des cultes, on peut évidemment considérer que ce respect s’impose non seulement aux salariés de la caisse, mais également à ceux qui sont les décisionnaires, c’est-à-dire les administrateurs siégeant au conseil d’administration, le président, ainsi que le directeur et même les représentants du ministère de tutelle. On voit bien les limites de ce texte du Projet de loi qui tout en posant un principe général, en restreint l’application à certaines situations précises (prosélytisme, favoritisme, de la part de agents du service public en question). Notre amendement, en ce qu’il extrapole les objectifs de l’article 1er risque donc d’être retoqué… Mais qui sait ?
Justement, il se trouve qu’une quinzaine de députés, membres du groupe « Libertés et territoires » a déposé un amendement qui, dans son esprit, et bien que ne visant pas spécialement la Cavimac, n’est pas très éloigné du nôtre. Dans ce groupe figurent des députés qui s’étaient intéressés de près à notre dossier : Olivier FALORNI, député de la Rochelle, Jeanine DUBIE, députée des Hautes-Pyrénées. Leur amendement, n° 657, est ainsi formulé :
Article 1er - Après l’alinéa 2, insérer l'alinéa suivant : « En cas de non-respect persistant de ses obligations par l’organisme mentionné au premier alinéa du présent I, la mission de service public qui lui a été confiée peut lui être retirée. » |
L’intérêt de cet amendement c’est d’envisager des sanctions dans le cas où un organisme chargé d’une mission de service public ne respecte pas les obligations que lui impose l’alinéa 1 de l’article 1er. Le député Charles de COURSON qui défendait l’amendement au nom du groupe estimait que les sanctions « doivent relever de la loi » et non pas de simples « dispositions réglementaires », comme l’envisage l’alinéa 4 du même article. La discussion qui s’en est suivie a tourné autour de ce dilemme. Laurence VICHNIEVSKY, rapporteure du Projet de Loi estimait la sanction déraisonnable : « Imagine-t-on que l’on retire leur mission aux caisses d’allocations familiales, aux missions locales, aux offices publics de l’habitat ? », a-t-elle lancée. Tandis que le ministre Gérald DARMANIN affirmait la possibilité de sanction financières « pour les structures de type Caisse primaire d’assurance maladie ou organisme HLM par exemple ». L’amendement 657 a finalement été retiré.
Dans le cas de la Cavimac, on pourrait envisager que sa mission lui soit enlevée au profit du Régime général (dont elle dépend déjà !) ou que la mission de recouvrement soit confiée aux URSSAF, comme le prévoit la LFSS 2021 (une perspective qui a affolé les responsables cultuels, on s’en souvient !)… Mais est-ce que cela serait suffisant pour réparer les préjudices causées par les fautes commises par la Caisse dans le passé ? Certainement pas. Et c’est en cela que notre proposition d’amendement va plus loin que celui des députés du groupe « Libertés et Territoires ». Mais s’il a peu de chances d’aboutir, c’est surtout parce que ce Projet de Loi qui prétend avoir une portée générale, a en réalité une visée restreinte.
Le projet ne vise qu’une forme de séparatisme
C’est bien là le problème, d’ailleurs pointé du doigt par les responsables des cultes eux-mêmes à l’occasion des auditions qui ont précédé l’examen de la Loi à l’Assemblée. Tous ou presque se sont accordés pour exprimer leur crainte d’être les victimes collatérales d’un texte avant tout destiné à combattre l’islamisme radical. « Nous ne sommes pas demandeurs de ce projet de loi, même si nous comprenons certaines nécessités relatives à l’ordre public », a commencé par dire Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, avant de regretter « qu’à tous les inconvénients d’un projet de loi répressif il ajoute des mesures de contrôle à différents niveaux ». D’après lui la principale préoccupation des évêques aujourd’hui est de savoir « dans quelle mesure les dispositions qui seront prises s’appliqueront aux associations diocésaines, dont le Conseil d’État a reconnu qu’elles correspondent aux associations cultuelles prévues par loi de 1905 même si elles n’ont pas exactement le même régime ». Parmi ses craintes, on relève par ex. le projet d’un contrôle quinquennal de la qualité cultuelle d’une association. Des craintes légitimes peut-être, mais derrière lesquelles on sent poindre cette hantise propre à l’église catholique de vouloir préserver à tout prix son statut « à part ».
L’islamisme radical, berceau du djihadisme et du terrorisme, constitue une menace grave et il doit être combattu. Personne ne le niera. Mais obnubilé par le séparatisme islamiste et ses dangers, le projet de loi, bien qu’il prétende avoir une portée générale, passe sous silence (ou fait mine de ne pas voir ?) d’autres formes de séparatisme religieux, moins spectaculaires et moins visibles, mais qui n’en constituent pas moins des entorses à la laïcité républicaine et à l’ordre public. Parmi celles-ci, bien sûr, les atteintes causées par la Cavimac, avec la complicité des autorités religieuses en particulier catholiques, aux droits à retraite des personnels cultuels et que l’APRC dénonce depuis des décennies. Je doute que l’actuel projet de loi en discussion au parlement soit le meilleur moyen d’y mettre fin. D’autant que l’expérience de ces quarante dernières années nous a montré qu’il n’y a pas vraiment de la part des gouvernements successifs une réelle volonté politique de faire cesser ces petits arrangements sur lesquels ils ont toujours préféré fermer les yeux.
Ceci dit, nous ne renoncerons pas à continuer d’interpeller nos parlementaires jusqu’au vote final. Et si jamais nous parvenions à obtenir l’inclusion de notre proposition d’amendement dans le texte de loi, ne perdons pas de vue que la victoire risque d’être de courte durée. Car, comme le faisait remarquer Alexis Corbière, député de la France insoumise, lors de l’audition du Grand Rabbin Haïm Korsia : « Le vrai sujet, c’est l’absence de moyens pour appliquer la loi, pas l’absence de dispositif juridique. La surenchère législative ne règle pas les problèmes, surtout quand on observe que les lois existantes ne sont pas appliquées »…(et c’est moi qui ajoute) « ...par ceux-là mêmes qui sont censés l’appliquer ! ».
Michel NEBOUT 13 février 2021.
1) Selon l’exposé des motifs de cet amendement, la pratique de l’écriture inclusive « aboutit à une langue désunie et disparate dans son expression, créant de ce fait une confusion qui confine à l’illisibilité ».