Un jugement qui d’ores et déjà, fait date

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« Le Vatican dans un communiqué publié samedi 13 avril 2024, estime que la condamnation par un tribunal français de la Communauté des Dominicaines du Saint-Esprit et du cardinal canadien Marc Ouellet pour le renvoi « sans motif » d’une religieuse constitue une « grave violation » de la liberté de religion »i. On pense à priori que traitant de cette affaire le Journal La Croix, défende d’emblée les points de vue Vatican, au contraire il le met en garde en citant le jugement : « Mère Marie Ferréol « n’a pas été en mesure non plus de se préparer moralement et matériellement à devoir quitter immédiatement sa communauté et son métier, en l’espace de quelques heures, sans jamais y revenir ». Dans sa décision, la juge « déplore l’opacité de la procédure canonique et s’étonne notamment que le contenu du rapport de visite est demeuré inconnu tant pour la religieuse et ses avocats que pour le tribunal. (…) Ne connaissant pas les faits, toute défense était impossible »

1) Des mises en cause fondées à la fois sur les droits canonique et civil

Que par la suite, la Cour d’Appel de Rennes, infirme le jugement est une prudence à laquelle l’APRC est habituée… Isabelle de Gaulmyn donne la parole à « un juriste proche de l’Église : « Le jugement du tribunal de Lorient « fait quelques approximations d’interprétation du droit canonique ». Mais sur le fond, pourtant, « les juges ne s’en prennent ni à la liberté religieuse, ni à celle d’association des fidèles catholiques. Ils estiment que les droits prévus dans le Code civil français ont été violés, du fait de l’absence de droit donné à la défense, et de motivation pour la décision d’exclaustration (départ du couvent) ». Or le tribunal de Lorient ne se prononce pas sur le droit canon, mais sur le droit civil »

A la lecture du jugementii (2), il convient d’aller plus loin : le droit canonique n’est pas ignoré mais interrogé quant à l’application dans le cas concret de ses propres règles, de même le contenu des statuts congréganistes est vu sous l’angle général de la bonne application des contrats en droit civil. Quant aux intervenants ecclésiaux ils sont vus d’abord et avant tout sous l’angle d’une bonne administration de la justice, ont-ils été à la hauteur de cette exigence ?

  • Les visiteurs canoniques sont fautifs car leur action a principalement servi à couvrir les abus de droit de la congrégation et du cardinal Ouellet envers mère Marie Ferréol. Un rôle trouble aux antipodes du respect d’une justice, fusse-t-elle canonique.
  • « Le cardinal Ouellet n’a pas respecté les droits de la défense puisqu’il n’a pas permis que le conseil canonique de Mme Baudin de la Valette puisse obtenir communication de son dossier, ni même qu’il puisse le consulter avant que la décision ne soit prise ».

Le tribunal conclut « s’agissant des motifs de l’exclaustration, faute d’énoncé et de preuve des faits précis et datés reprochés à Mme Baudin de la Valette, le tribunal doit en conclure que la décision n’était pas suffisamment motivée ». Et pour son renvoi, « tant sur la forme que le fond, la procédure ‘’disciplinaire’’ n’a pas été respectueuse du droit canonique et des principes généraux du droit, conduisant à qualifier d’abusives les décisions prises à l’encontre de l’intéressée par le cardinal Ouellet, lesquelles ont été génératrices de préjudice pour elle ».

Il a « commis des fautes qui ont contribué pour une large part aux préjudices matériel et moral » subi par mère Marie Ferréol, et le tribunal fixe cette « part prépondérante de responsabilité » à « 60% », contre 20% pour les visiteurs canoniques et autant pour la congrégation.

  • Côté Dominicaines du Saint Esprit le tribunal de Lorient applique l’article 1194 du code civil à la situation : « les contrats obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi »
  •  Le non-respect du devoir de secours par la congrégation, qui a renvoyé mère Marie Ferréol sans aucune ressource ni préparation matérielle, est pointé par le tribunal de Lorient qui constate que mère Marie Ferréol n’a pu « bénéficier dans l’esprit d’équité et de charité énoncé par le droit canonique, de conditions de vie civile décentes, après 34 ans de vie religieuse et de services auprès de sa communauté. En définitive, le tribunal estime que les fautes commises par l’association Dominicaines du Saint Esprit envers Mme Baudin de la Valette sont caractérisées et qu’elles ont contribué pour une certaine part à son préjudice matériel et moral, incluant des ennuis de santé ».

2) La justification des dommages intérêts

Au regard des sommes réclamées, le tribunal justifie les 236 022 € qu’il accorde

  1.  Pour ce qui est du devoir de secours de la congrégation :
    Les modalités de calcul sont fondées sur le barème du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté, soit 2229€ par moi.
    Le tribunal reconnaît que « ce n’est pas aux tiers (amis ou famille) de suppléer la carence de l’association ayant renvoyé un de ses membres dans des conditions fautives ». Il fixe le secours, sur la base de 2229 euros par mois,  et ce pendant 18 mois, l’intéressée se devant de retrouver un emploi stable. La congrégation, qui a déjà versé, 6500 euros en deux fois, devra encore verser « 33.622 euros » à ce titre de devoir de secours.
  2. Pour la perte de condition matérielle
    Le Tribunal tient compte de ce qui se serait passé si Marie Férréol était restée dans sa communauté religieuse : si elle était restée dans sa communauté, celle-ci, qui la logeait et la nourrissait, aurait aussi pris en charge ses vieux jours. Expulsée sans secours puis renvoyée, elle n’avait plus le droit à rien. Ce préjudice matériel est arrêté à 182 400 contre les 804 144€ demandés.
  3. pour préjudices physiques et moraux
    7000 euros pour préjudices physiques et moraux,
  4. pour l’atteinte à l’honneur et à sa vie privée
    3000 euros pour l’atteinte à l’honneur et à sa vie privée
  5. au titre des frais d’instance
    (art 700) 10.000 euros.

Le jugement précise : « M. Marc Ouellet sera tenu à hauteur de 60% de ces sommes, l’association syndicale des Dominicaines du Saint-Esprit de 20% et M Jean-Charles Nault avec Mme Maylis Desjobert à 20% ».

Jean Doussal

(1) Article du journal LA CROIX
(2) Voir résumé   Riposte Catholique