Victimes de l’Église, les esquives de réparation
Ostracisés durant des décennies, les retours à l’état laïc de prêtres, de religieux et religieuses, sont aujourd’hui mieux respectés au nom de la liberté de conscience et de religion. Tous ces départs ne furent pas et ne sont pas dramatiques ni reprochés aux diocèses, congrégations, monastères, communautés dites « nouvelles », mais tous ont une incidence sur les droits à une pension vieillesse au titre du temps passé au service d’un culte. Sous la titre « l’Église doit devenir une maison sûre », Golias Hebdo n°767 rend compte de l’interview de Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre désormais en charge de la « cellule Emprises et dérives sectaires dans l’Église catholique ». Dans le même temps l’Assemblée générale de la Corref vient de voter un catalogue de « règles de bonne conduite »… à regarder de plus près.
Renvoi à l’état laïc des coupables et refus d’accorder le label catho
L’évêque témoigne des prises de conscience et des soucis sincères de réparation après les révélations du rapport Ciase sur les victimes mineures au moment des faits et désormais aussi sur les victimes majeurs. Volonté réelle de l’instance qu’il dirige à « s’engager pour la reconstruction des victimes », avec cet objectif : « La reconnaissance, c’est celle du préjudice, et il n’est pas que financier. Il est aussi moral, psychologique et spirituel ».
L’APRC a une très longue expérience de ces volontés épiscopales d’écoutes et de bonnes volontés… assorties d’engagements, qui malheureusement par la suite se perdent dans des réalisations non abouties. Ce n’est pas le lieu de les rappeler : sur ce site, les pages consacrées à l’histoire de l’association, les bulletins successifs, les témoignages sont disponibles.
Les réalités présentes incitent aussi à la circonspection. D’abord sous l’angle des abuseurs : promis, jurés désormais les Procureurs de la république sont saisis. Très bien, mais n’est-ce pas le constat que l’institution et les tribunaux ecclésiastiques ne faisaient pas leur travail. Dans le même temps, ceux-ci sont réactualisés pour sanctionner les coupables… par la « réduction à l’état laïc » transformé désormais en « renvoi de l’état clérical »… une manière de se désolidariser à peu de frais d’une responsabilité financière qui appartient aussi et parfois d’abord, à l’institution… pour transférer celle-là uniquement sur un coupable insolvable.
Une question est posée : « ne faudrait-il pas fermer les communautés nouvelles concernées ? » L’évêque répond « il faut tirer les conséquences de l’enquête sur les Frères Philippe et les ramifications dans les différents groupes comme Jean Vanier avec l’Arche, Éphraïm avec les Béatitudes, Thierry de Roucy avec Points Cœur. Il y a là tout un réseau, je crois que des dispositions vont être prises. La cellule que je préside n’a pas le pouvoir de les dissoudre, mais Thierry de Roucy a été renvoyé de l’état clérical et Points Cœur n’est plus reconnu comme mouvement d’Église. Le Verbe de vie est dissous »
En quoi toutes ces « dispositions » peuvent-elles contribuer à réparer les dommages faits aux victimes ? C’est même le contraire qui est en train de se produire ! Les membres de ces diverses communautés le découvrent lorsqu’elles veulent faire reconnaitre leurs droits à pension vieillesse au titre des années de présence dans ces diverses collectivités religieuses.
Préconisations et Règles de bonnes pratiques
Même bonne volonté de reconnaitre et de réparer de la part des responsables de congrégations et de monastères + quelques « associations de fidèles » agrées par la Corref. Un catalogue de quelque 90 préconisations vient d’être largement approuvé à leur Assemblée générale des 11 au 13 avril cf : Face à la crise des abus, les acteurs de la vie... et Préconisations et règles de bonnes conduites... . Sont reconnues les carences de gouvernance, la réalité des abus, l’exigence de réparation. De même, les causes sont mises à jour dont « l’entre soi », le manque de contrôle extérieur, le manque de connaissance des réalités sociales. Pour y remédier, des méthodes en usage dans les entreprises comme les audits, le recours à des experts, « l’appel à des laïcs » dans les conseils et l’expérience d’une victime lorsque des réparations sont débattues…
Arrêtons-nous à ce dernier point… Lors de la mise en place de la loi du 2 janvier 1978, la présence des « anciens ministres du culte » (AMC) au Conseil d’administration de la Cavimac fut refusée. Elle sera acceptée vingt ans plus tard, mais bientôt confinée lorsque les erreurs commises seront révélées et soumises au jugement de la justice civile. Majoritaires, les administrateurs cathos se réunissent le matin des Conseils pour définir leur vote. Il en résulte le refus de faire entrer au Bureau un administrateur représentant les AMC, et, mis à part la « commission des marchés », les administrateurs AMC sont systématiquement mis en minorité pour entrer dans toutes les autres « commissions ». Le Conseil déléguant à celles-ci ses pouvoirs, les décisions sont prises en privant le Conseil d’un droit de vérifications et de débats.
Au vu de l’Histoire de ces cinquante dernières années, et face à tous les engagements pris par la CEF et la Corref, la vigilance s’impose. Oui des volontés de réparations s’expriment et se concrétisent en « préconisations »… mais ce n’est pas la garantie que « les fruits passeront la promesse des fleurs ». Nous le constatons d’abord dans les mesures d’exclusions de telle et telle collectivité religieuse, un temps « reconnue » par le culte catholique mais qui se voit retirer un tel agrément, laissant de très nombreux membres privés de recours pour le temps passé dans ces collectivités à qui était refusée l’affiliation à la Cavimac. Les esquives de réparation sont occultées par des promesses de « jamais plus ça », par des affirmations que la loi du 2 janvier 1978, est désormais bien appliquée… sauf que les victimes du passé se voient exclues du droit à réparation et esseulées lorsqu’elles exposent leur passé au service du culte catholique.
Jean Doussal, mai 2023