Sortir de l’amertume
Des blessures ne cicatrisent pas facilement, surtout quand nous avons vécu un engagement sur lequel il nous a fallu revenir. Le temps ne suffit pas à cicatriser certaines plaies qui durent depuis notre enfance. Des conditionnements que nous avions acceptés se sont révélés aliénants ; Le contexte religieux dans lequel nous avons vécu a parfois laissé une amertume nourrie par nos déceptions. Et ce ressentiment peut nous enfermer, nous tenir enchaînés alors que nous souhaitons être des vivants !
Le livre de Cynthia Fleury « Ci-gît l’amer – Guérir du ressentiment » propose une démarche pour sortir de la rumination qui pourrait nous empoisonner.
Cynthia Fleury est une philosophe et une psychanalyste. Vous l’avez peut-être remarquée à l’émission « la Grande Librairie » il y a quelques semaines. Vous avez aussi pu l’entendre se laisser interviewer sur quelques radios à l’occasion de la publication de ce livre.
Son langage est riche de références et de l’expérience d’une praticienne, cependant, il peut paraître ardu à certaines pages. Il mérite pourtant qu’on franchisse les premières résistances.
La première partie présente l’amertume, le ressentiment vécu par l’être humain.
« Il s’est donc joué à l’origine une blessure, un coup, une première incapacité de cicatrisation et la brèche non colmatée rendra plus tard la béance plus active, parfois aiguë, parfois chronique. Face aux à-coups, qui alimentent par la rumination, le travail de l’intellect, l’aide du raisonnable, reste sans secours » (p.20)
« Cette nostalgie est assez intenable pour soi-même et pour autrui. Elle épuise aussi, elle isole, car l’entourage se fatigue de vouloir soit l’empêcher, soit la contrer avec des arguments rationnels, mais c’est là d’abord une vérité existentielle et émotionnelle qui ne souffre pas vraiment le dialogue contradictoire » (p 309)
Le ressentiment s’incruste dans la personne, dans sa vie relationnelle, dans sa vie sociale. La porte de sortie est double :
- d’une part la créativité, l’investissement dans l’action de façon à se mobiliser ailleurs que sur son propre passé :
« la générosité est matricielle et protectrice des passions tristes » (p.78)
- d’autre part la recherche du goût de l’amertume
« l’amertume est le prix à payer de cette absence d’illusion, mais qui confère alors une forme de pureté au goût restant » (p.51)
La deuxième partie montre comment le XXᵉ siècle a été marqué par le ressentiment. Les fascistes et les nazis ont embrigadé des foules par des slogans et par des simplismes. Ils ont suscité une émotion collective sur la base des ressentiments de ceux qui avaient souffert de la première guerre mondiale, de l’évolution du capitalisme, de la mondialisation des échanges.
La troisième partie invite à prendre le large
« Le chemin de l’émancipation passe aussi par là : reconnaître certes sa souffrance, mais surtout s’en séparer, la laisser derrière soi, non pour l’oublier sans produire d’efficace, mais pour construire [ … ] apprendre à ne plus répéter, à ne pas s’installer comme chez soi dans la répétition de la douleur » (p. 203)
L’auteure s’appuie sur la pensée de Franz Fanon pour écrire :
« la colonisation la plus dangereuse est celle qui s’abat sur l’être, celle à laquelle l’être humain cède à l’intérieur de lui-même, pas celle extérieure et politico-économique... » (p.229)
« Ne pas se laisser enliser par la répétition involontaire » (p.315)
Sortir du ressentiment me paraît être un beau chemin pour les être spirituels que nous sommes !
Luc GOURAUD
Bonjour ! Je crois que cette question des blessures à laisser derrière soi de quelque façon, est très intéressante.
Je crois que la principale difficulté réside en ceci : lorsque les situations blessantes ont duré longtemps, parfois des dizaines d’années, on en revient difficilement. Le travail dit “de reconstruction” est long et difficile – reconstruction concrète et reconstruction personnelle. Alors, les blessures que l’on voudrait laisser derrière soi ne se laissent pas oublier …
Voilà : à mon avis, dans un tel cas, ce sont plutôt les blessures qui ne se laissent pas oublier.
Certes, on peut assumer cela. D’ailleurs, on n’a pas le choix, il faut le faire. La démarche demande de la lucidité et du courage. La lucidité vient avec le temps. Mais on ne se libérera jamais complètement des dommages subis et de leurs conséquences. Et donc, on n’oubliera pas vraiment, non plus.
Quant à pardonner, c’est plus difficile encore : il y a trop de demandes de pardon dans l’Eglise, des demandes de pardon sans conséquence, des demandes de pardon bien tardives et qui ne peuvent plus rien changer. Comme c’est commode ! Quel sens cela a-t-il devant l’irréparable ? Quelque part, ne vaudrait-il pas mieux se taire ?
Pardonner vraiment, c’est bien difficile aussi. Par contre, oui, on pourra s’éloigner, regarder dans une autre direction, s’intéresser à autre chose … Cela, oui, on peut essayer de le faire, du moins sur le temps laissé par le “travail de reconstruction” …
Je trouve la plupart des textes précédents pas très efficaces car trop compliqués; la plupart d’entre nous ne sommes pas de grands intellectuels et on peut dire des choses compliquées de manière beaucoup plus simple .Je suis stupéfaite qu’il y ait tant de gens, surtout des femmes qui de fait ont été abimées pour toujours par les traitements subis au couvent, au nom de la soit-disant vertu d’obéissance, de fait c’était pour beaucoup de supérieurs et supérieures une façon d’écraser la personne et d’être la “dominante”.et ce qui est grave, c’est que c’était au nom de la foi, de la religion!donc très culpabilisant Chez nous , c’était moins dangereux parce qu’on savait que ça venait d’une grande dame qui voulait continuer à vivre avec des servantes comme pendant sa carrière de riche estanciera argentine. C’est pour cette raison qu’on a pu nous révolter et foutre le camp. Bien sûr certaines ont été plus blessées, mais la plupart ont pu se libérer sans ressentir cette amertume terrible dont parlent certaines victimes. Personnellement, le premier matin hors du couvent, quand je me suis réveillée à Bagatelle, ma nouvelle demeure, j’ai tout de suite pensé: “Enfin libre!”et je me suis sentie heureuse, fière d’âvoir réussi ma libération. Parmi nous il y avait Cathy et Léonie: croyez-vous qu’elles auraient vécu si pleinement leur lutte pour soutenir les opprimés si elles avaient été habitées par certaine amertume dont parlent certains? Impossible!
J’envoyais ces jours ci “aux Bretons” mes impressions sur notre vie à l’occasion de la Toussaint, cela paraîtra sans doute ici après quelques ajustements en décalé ce cette fête. Je ne suis pas sûr que l’amertume soit ce qui persiste après notre sortie des institutions mais qu’il y a plusieurs étapes, un peu semblables à celle du deuil, ces étapes peuvent commencer d’ailleurs avant notre sortie. Il me semble aussi que le repli sur soit nourrit l’amertume. Il s’agit donc de faire son deuil de ce qui aurait pu être, ou de ce que nous aurions voulu qu’il soit, et d’avancer, trop de militantisme pourrait être une compensation voire une fuite en avant, mais trouver un sens à ce que l’on entreprend et s’y épanouir me semble une voie plus sûre pour laisser l’amertume au placard ! Il n’y a pas d’âge pour cela, et comme le disait une homélie sur Cnews pour le jour de la Toussaint que l’on ait 90 ou 117 ans l’avenir est encore devant nous, nous sommes attendus…. ici et ailleurs… croyons-le vraiment ! Bernard Deconche
Bon d’accord… je voudrais bien… et d’ailleurs j’entends toujours avec beaucoup d’intérêt les arguments de Cynthia Fleury arborant fièrement sa queue de cheval sur les plateaux télé… Mais franchement ce billet me gène, en tant que militant de l’APRC : nos amertumes, nos ressentiments devraient donc laisser place à une démobilisation. Nous devrions taire nos ressentiments, reconnaitre qu’on ne peut plus vivre avec ça, passer à autre chose… lâcher nos combats pour la justice ? Certes je le fais pour moi, qui suis en fait très peu impacté par une carrière « cultuelle » de quatre années avant des vœux perpétuels que j’avais préférés retarder par une année sabbatique… qui s’est perpétuée ensuite… Mais je suis profondément solidaire de toutes celles et de ceux qui sont partis après, je m’efforce de ressentir ce qu’ils ressentent, je veux être à leur côté, entendre leur ressentiment, accompagner leur amertume face à une Église qui n’a pas su leur donner une vraie place, qui a pu les déstructurer et rendre difficile leur retour à la vie normale. Alors pas d’accord avec le fait qu’il faudrait passer à autre chose, oublier, se démobiliser