Colloque impressions de flottements

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Les 25 et 26 septembre derniers, nous étions cinq membres de l’APRC présents à un colloque organisé par la faculté de droit canonique de l’Institut Catholique de Paris sur « La protection sociale du clerc : enjeux juridiques et perspectives ». Le terme clerc est, dans ce travail, à prendre au sens large, incluant les personnes en devenir et les membres de congrégations, d’instituts et d’associations de fidèles.

Le doyen Ludovic Danto en accueillant enseignants, professionnels de la CAVIMAC et auditeurs, présente le sujet du colloque en signalant les difficultés que la faculté a rencontrées pour concrétiser ce projet. Il n’a pas été aisé de réunir les intervenants aptes à traiter la question avec des éclairages divers : universitaires, canonistes, en responsabilités ecclésiales, dirigeants de la CAVIMAC, juristes dans des organismes d’État… Lors du colloque, il a été régulièrement rappelé que les interventions avaient un caractère universitaire et n’engageaient pas les institutions dans lesquelles les intervenants sont impliqués. Un rappel constant, parfois même très insistant à ne pas enregistrer les interventions, est revenu comme un leitmotiv lors de ces deux journées. Le sujet est-il dangereux ?

Avant 1978

Le colloque était construit en deux parties : la première journée était principalement historique, la deuxième partie plus pratique avec des interventions de responsables de service de la CAVIMAC. Au sein de ces deux parties, des ouvertures étaient proposées afin de mettre le sujet en perspective comme un éclairage sur les investissements éthiques, l’attention aux clercs en situation de faiblesse, l’évolution des mesures de protection…

De nombreuses interventions de qualité interrogent, provoquent et pourraient permettre des ouvertures. La partie historique traitée par Albert Jacquemin a été passionnante pour beaucoup d’auditeurs. Dans son intervention, il a dégagé trois périodes, celle de l’église primitive jusqu’à la fin de la période carolingienne, celle de la fin du Moyen Âge et des temps modernes et la période concordataire. Ont suivi deux exposés abordant la période contemporaine avec des focus sur les syndicats ecclésiastiques et sur la circulaire La Martinière. Ces exposés montrent que les principes initiaux organisant le statut financier du clerc, fondés sur quelques passages du nouveau testament (comme « le travailleur mérite son salaire » Lc 10/7 ou « ceux qui assurent le culte du temple sont nourris par le temple… Le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de la proclamation de l’Évangile » 1Co 9/12-13) vont perdurer du premier siècle à aujourd’hui, s’adaptant plus ou moins bien en fonction des évolutions de la société ; ils ne seront jamais remis en question. Tout au long des premiers siècles, des conciles locaux traitent de la question de la prise en charge des ministres du culte ; ils rappellent sans cesse que les évêques doivent veiller à ce que les clercs puissent avoir une vie digne, sans enrichissement personnel, en n’omettant jamais de garder disponible une part pour les pauvres. Pour permettre cela, des « bénéfices » se mettent en place, mêlant ainsi revenu stable avec fonction spirituelle. Les écarts se creusent entre clercs, entre congrégations, une grande pauvreté s’accroit. Le concordat ne permettra pas d’améliorer ces disparités et les renforcera même, créant 3500 curés concordataires correctement rémunérés sur 37000 curés de 2ᵉ classe vivant de la générosité des fidèles. La situation matérielle des membres du clergé sera débattue mainte fois sans solutions durant la deuxième moitié du XIXème siècle. La séparation de l’Église et de l’État va modifier le statut juridique de l’Église. La protection sociale pour tous est mise en place en 1945, le statut des travailleurs indépendants aurait dû s’appliquer aux clercs, ce que l’épiscopat a refusé…

Après 1978

Le travail de cette partie, la plus passionnante du colloque, éclaire bien le fait que le système actuel mis en place en 1978 est un aménagement non satisfaisant ; il tente de rapprocher les normes sociales du pays avec une organisation ecclésiale qui tient à ce que le ministre soit directement pris en charge par la communauté ; un système de rétribution mis en place à l’aube de l’Eglise, sous une forme quasiment dogmatique et par conséquent hors du champ de la critique… Tout au long de ces deux journées, les intervenants par leur questionnement nous permettent de penser qu’un nouvel équilibre doit être recherché. Des évolutions à venir, comme la possibilité d’avoir des ministres du culte mariés, nécessitera de revoir la règle de la rémunération. Concernant les situations de communautés qui, sous la forme d’associations de fidèles, entrent difficilement dans les cadres actuels, les canonistes reconnaissent que le code ne donne pas de réponse qui permette de définir des règles d’affiliation. Les enseignants présents sont enclins sur ces questions à considérer le droit canon comme un règlement intérieur à l’Église et non comme un statut qui s’impose.

Le terme de « perspective », présent dans l’intitulé du colloque, ouvre un champ de questionnement ; une certitude apparait peu à peu dans le croisement de l’ensemble des interventions : la situation actuelle ne donne pas de perspective, pour les personnes comme pour l’institution dans la société d’aujourd’hui. La seule perspective est celle du travail prospectif à ouvrir, le colloque est conclu par un appel à la poursuite du travail sur le sujet.

Quelles ouvertures pour l’avenir ?

Dans ce retour « d’impressions », je n’ai pas parlé du deuxième jour, avec les interventions des cadres de la CAVIMAC. Leur positionnement est dépendant du cadre lié aux questions de fond bien présentées le premier jour. J’ai eu la sensation que la caisse se situait dans un entre deux ; caisse reconnue, elle dépend des règles de la protection définie par l’État tout en voulant répondre aux diverses organisations propres aux différents cultes qu’elle accueille. Position difficile ! Des responsables de service ont décrit leur travail au sein de la caisse avec professionnalisme et précision, le directeur a présenté la CAVIMAC avec conviction, déployant force oratoire, dans une posture de promotion. La question posée par le colloque ne peut pas être résolue par la caisse elle-même, mais par un travail entre l’État, les cultes ; est-ce possible dans le contexte actuel et qui souhaite ouvrir ce débat ? Le champ des questions est bien ouvert après ces deux journées. L’introduction qui insistait sur la difficulté de la mise en place de ce colloque s’est révélée pertinente !

Jean Louis Wathy