Jacques Bassot dans la tempête

Les présidents de l’APRC se sont succédé depuis 1978 : fin des années 80 et début des années 90, les rancœurs se sont accumulées, l'association est au bord de l'implosion… Celui qui, de 1992 à 1996, avait accepté d’assumer la présidence, s’est éteint le 7 juin 2022. L’occasion pour nous de rappeler le travail accompli alors, mais aussi de faire découvrir l’avant… et l’après d’un parcours tellement en rapport avec ce que sont les anciens ministres des cultes, et anciens membres de collectivité religieuse, dans leur ressemblance et leur diversité.

Capitaine à la barre

Sur ce site, les « bulletins » de l’association sont ouverts aux adhérents, rubriques « publications ». le premier document date précisément des débuts de la présidence de Jacques Bassot. https://aprc.asso.fr/publications/bulletin-debut-1992/ Les adhérents sont outrés, les débats virulents, les reproches incessants. Comme souvent dans de telles situations, les positions extrêmes ne sont pas validées par l'Assemblée générale. Le conseil d'administration doit suppléer au refus de Paul Crusson de consentir à un mandat supplémentaire, le vice-président accepte de relever le défi. Le premier numéro du bulletin de l'association naît avec lui.

L’édito précise sa feuille de route :  une retraite convenable, la prise en compte de l'extrême diversité des situations et des sensibilités syndicales, politiques, philosophiques et religieuses des adhérents. Certains sont aisés, d'autres, « et c'est l'immense majorité », vivent modestement, parfois pauvrement… Une méthode est proclamée : « Il faudra peut-être des étapes (nous ne sommes pas adeptes du tout ou rien… ni du tout, tout de suite…). Il faudra convaincre parce que nous sommes de bonne foi, et que nous respectons nos interlocuteurs (Pouvoirs publics, Autorités ecclésiastiques), leurs démarches, leurs contraintes. Ce respect ne nous empêchera de parler haut et clair et au besoin de dépasser les contraintes »

Compétence et pragmatisme

Les décennies suivantes démontreront la part d’illusion d’une telle posture, car les autorités religieuses resteront persuadées de leur bon droit. Mais pour l’heure comptent, avant tout, pour Jacques Bassot, la compétence et le pragmatisme. La compétence par une réalisation capitale : le « Livre blanc », toujours précieux pour l’association aujourd’hui ; le pragmatisme par des avancées : mise en place de l’allocation complémentaire aux partis pour les ex-congréganistes (ACR), comme pendant à l’UMS2, celle-ci donnant lieu à des avancées (1999) que les évêques dénonceront plus tard, la présence des administrateurs AMC au CA de la Cavimac, le soutien à l’enquête et aux démarches : « les femmes prennent la parole »i

N’étant pas, alors, adhérent, je serai en contact avec Jacques à la charnière de l’année 2010 et 2011. Voici ce qu’il m’écrivait dans l’un de nos échanges : « Jean, Je me réjouis de ces échanges directs, qui peuvent éviter bien des malentendus. Il est vrai que j’ai suivi les procédures que tu as initiées : je les ai approuvées, sans bien voir ce que je pourrais apporter à ta compétence. Il aurait fallu me replonger dans les questions, dont beaucoup souhaitaient que je ne m’occupe plus.

Mes réserves n’étaient pas sur tes actions auprès des TASS mais sur les procédures contre les congrégations, entreprises par la Tripartite sous le label de la transaction. Et sur le fait que l’APRC semblait ne voir de solutions que dans des actions judiciaires, à l’exclusion de toute discussion cherchant un compromis. Il est vrai que je pensais que la Cour de cassation nous donnerait tort. Comme beaucoup le résultat m’a surpris. M’a réjoui. Je reste dubitatif sur les conséquences qu’en tirera la Cavimac. Mais c’est toujours cela qui est acquis pour les cinq plaignants.

Comme administrateur de la Cavimac, j’ai participé au combat du CA pour obliger les « communautés nouvelles » à s’inscrire à la Cavimac (y compris la menace de l’épiscopat de retirer sa caution à ces communautés qui s’y refuseraient). Le livre « Les naufragés de l’Esprit» nous avait alertés sur le sujet. Je ne crois pas que nous étions fermés aux autres cultes, mais il n’y avait pas chez eux d’AMC (ou très rares…). Mais je comprends que tu aies abordé ton mandat dans une autre perspective que moi.

De même j’ai lu avec attention ton livre, écrit pour un autre public que le mien. Je regrette que tu n’aies pas trouvé un éditeur plus « grand public », tel les éditions de l’Atelier. Merci de citer mon livre et le livre blanc (qui est aussi de moi). J’ai toujours apprécié que tu tiennes un langage de vérité, sans taire les difficultés, ni les risques d’échec. Tous n’ont pas eu le même courage. Bien cordialement Jacques »

De l'avant... à l'après

L’APRC était devenue, pour lui, du passé… Mais quel autre passé, l’avait conduit à quitter les ordres ? Le témoignage d’un de ses confrères prêtres, Michel Jondot (dcd en 2019), nous le fait découvrir pour la période 1964-1969ii, Jacques n’a pas encore la quarantaine il est Supérieur du séminaire des vocations tardives de Morsang-sur-Orge : « il était rempli d’idées et agissait avec beaucoup de souplesse. Arrivé un an plutôt en même temps que Charles Henri Cagnac, il essayait de construire une équipe autour de lui. En même temps que moi (ndlr c’est Michel qui témoigne) arrivait Jean Claude Barreau dont la notoriété, déjà, était grande ». Par ce dernier, l’équipe reçoit des journalistes de renom et des évêques allant ou revenant des sessions conciliaires Vatican II.

« Jacques Bassot avait coutume de dire qu’il fallait cesser de considérer un séminaire comme un lieu ; il convenait plutôt de le définir comme un temps. Était ainsi posée une double question que nous avons travaillée en équipe. Comment transformer ce temps de préparation au presbytérat pour éviter une vie d’internat qui coupe de la société et comment limiter le nombre des années ? Retarder le moment de vivre en prenant les responsabilités que l’Église leur confierait, risquait, nous semblait-il, de les infantiliser. La « Formation des prêtres » était un sujet à l’étude, pas seulement en France mais au Concile. La question était parfois conflictuelle. »

« Année 1967, l’atmosphère devient lourde : les anciens, d’origine ouvrière ou paysanne pour la plupart, souffraient de se sentir contestés par ces nouveaux arrivants, sûrs de posséder la bonne clé pour entrer dans l’Église. Ceux qui les rejoignaient étaient pris entre deux feux, soumis à l’évangélisation des jocistes qui les priaient de rejoindre leurs rangs et, en même temps, à l’écoute des anciens qui, l’année précédente, avaient vécu une expérience épanouissante.

Michel Jondot poursuit par l’après Mai 68 : « Oui ; j’étais conscient de vivre une forme de décomposition de mon environnement. Lors de cette dernière année de Morsang, Jacques Bassot m’avait prié – c’était en février 69 – de ne pas l’interroger sur ce qu’il ferait l’année suivante : « Je te promets que tu seras le premier averti ! ». Confidentiellement, au mois de juin, il m’annonçait, en effet, qu’il quittait les ordres et demandait sa réduction à l’état laïc. Il cherchait un emploi et était décidé à se marier ». Départ dont témoigne François Hubert : « Je me souviens que son départ, et celui de Jean-Claude Barreau, à la fin des années 60 avait créé un tremblement de terre ».

Lorsque Jacques devient président de l’APRC, il est DRH dans une entreprise industrielle. Il renoue avec d’anciens confrères devenus évêques, pour les avancées citées plus haut. Mais le voici considérant qu’on ne pourra aller au-delà… Les procès gagnés le surprennent… il est désormais très pris par le « Groupe de Recherches Historiques de Jouy-en-Josas », commune où il demeure avec son épouse et ses enfants depuis 1977. Il y est toujours resté, discret sur son passé, mais le titre qu’il donnera à la représentation théâtrale, consacrée à l’homme du bicentenaire, révèle, en forme de clin d’œil, ce qu’il pouvait nous dire désormais : « Ma femme et mes enfants d’abord »iii

Donc le voilà engagé dans des recherches très approfondies sur l’œuvre de Christophe Philippe Oberkampf de 1760 à 1994 : plus d’un siècle sur les Manufactures de Jouy en Josas et des environs. Il suit pas à pas, dans une Europe en plein bouleversement (1770-1815), le parcours du jeune wurtembergeois luthérien de 22 ans intégrant la société française, durant le règne de Louis XVI, la Révolution française, l’Empire, puis à travers ses successeurs jusqu’en 1894. Rigueur de l’historien chevronné et rigoureux. Pour notre propos une citation où le narrateur se raconte en quelque sorte lui-même : « Oberkampf exigeait de son personnel ‘’discipline et discrétion’’. Chacun avait son emploi bien défini et les commis ou contremaîtres devaient toujours s’assurer que « tous les bras qu’on emploie sont occupés utilement. »

Le hors-série des Cahiers historiquesiv dont est tiré cette citation, fait état d’un autre propos rendant compte des réactions de Jacques sur le monde tel qu’il le percevait : au sujet d’une source plutôt critique à l’égard du grand patron d’entreprise, il écrit : « Malgré son titre volontairement ambigu et provocateur, le livre de Dewerpe et Gaulupeau [17] ‘’La fabrique des prolétaires’’… est une source inestimable d’informations ». Jacques était ainsi direct et franc, ne cachant pas ce qu’il pensait et le disant « cash ».

Ce sera son talon d’Achille pour aller jusqu’au bout de la compréhension de celles et ceux que le système clérical et les dérives sectaires des collectivités religieuses ont pu casser, enfermer dans la culpabilité. Malgré l’enquête « les femmes prennent la parole » qu’il a soutenu pied à pied, il n’était préparé ni par les relations masculines de son passé devenu lointain, ni par son respect des univers hiérarchiques, ni par l’aisance financière justement acquise, à être profondément et physiquement dans le vécu de beaucoup d’adhérents faisant appel à l’APRC et aux associations prenant en charge les victimes des cultes, y compris le catholique. Ce n’est pas un reproche rédhibitoire, à la reconnaissance de son œuvre dans l’association, mais un questionnement que nous avons tous à prendre en compte : il n’est jamais facile de se mettre à la place des victimes.

Pour cet article je remercie d’abord Thérèse et Louisette qui nous ont alertés, alors que le départ de Jacques s’est fait sans annonce mortuaire, dans la discrétion de cet homme de conviction. Il aura su remettre en cause tout un système clérical et embrasser avec bonheur le monde tel qu’il est, tout en restant imprégné de son univers religieux jusqu’à la messe célébrée pour lui le 26 juin 2022… jour de nombreuses ordinations. Nos remerciements à son épouse et à ses enfants pour le temps qu’il leur a pris pour beaucoup donner à l’APRC, hommage au président des années de tempêtes… Sachant que ces temps de crises ont été nombreux pour notre association, et qu’ils restent encore devant nous.

Jean Doussal, juillet 2022

ii « L’Église se fait conversation » Entretien avec Michel Jondot p 12 à 21

https://www.dieumaintenant.com/legliseconversation.html

iv Jacques Bassot, OBERKAMPF et ses Manufactures Jouy-en-Josas et Corbeil-Essonnes1760-1894 Cahiers historiques de Jouy en Josas Hors série N°1, 2006

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