L’accès aux droits sociaux et au service public : des pistes à découvrir

Lors de la dernière Assemblée générale de l’APRC, Léon Dujardin du réseau ESAN (European Social Action Network) nous a donné l’information suivante : « Trois millions de personnes n’accèdent plus en France à leurs droits sociaux du fait de la numérisation. » Aujourd’hui, dans une revue, je lis : « 17 % de foyers n’ont pas de PC ; 20 % des liaisons Internet ne sont pas satisfaisantes ; quatre millions de personnes ne savent pas se servir de l’informatique et 13 millions ne sont pas à l’aise avec cet outil » (données INSEE). Le tableau n’est guère réjouissant.

Par ce billet, mon objectif n’est pas de ternir davantage le portrait, mais d’apporter, peut-être, un éclairage supplémentaire, par des témoignages montrant que cette privation de droits légitimes n’est pas qu’un défaut matériel ou de formation habituellement résumés par « moyens », mais est en lien avec l’humain : celui ou celle qui a conçu les plateformes, les applications, les dispositifs informatiques et bien sûr celle ou celui qui manie la souris devant son écran quand il ou elle vous répond. Si « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde. » (Camus), mal poser la question revient sans doute à fausser la réponse et peut-être à différer une solution.

En octobre 2020, j’avais alerté Madame la Défenseur des droits sur des « dysfonctionnements », terme tout-venant pour qualifier… parfois l’inqualifiable. En onze années d’exercice de mon métier, je n’avais pas vu un accroissement aussi rapide de ces « dysfonctionnements » touchant de nombreuses administrations ; elle devait le savoir, puisque le taux de saisine de son institution avait notablement augmenté. Je m’adressais aussi à elle, en évoquant son ancienne présidence d’ATD Quart-monde, par des témoignages d’administrés(es) avec les conséquences humaines provoquées ; je n’ai jamais eu de réponse.

Dans ces exemples, il y avait celui d’une dame de 85 ans, à la retraite modeste, qui avait reçu une mise en demeure par voie d’huissier d’un hôpital parisien pour régler une note de plus de deux cents euros, dont elle s’était pourtant acquittée : pas moins de trois services administratifs, avec des informations différentes dans les courriers… bien sûr, pour la même dette. Organisation ?

Ou de cette autre sinistrée de l’administration CAF qui lui transformait régulièrement ses droits en dettes malgré des déclarations en temps réels avec justificatifs. Ce n’était plus la CAF… mais le CAF40, comme à la bourse. Et que dire des réponses de l’agent ? Ubuesque ou Cafkaïen, au choix. Conscience professionnelle ?

Ou de cet autre qui durant plus d’un an a bataillé avec les différents organismes de retraite : erreur d’identité, nombre de trimestres différents pour une même carrière selon le site visité. Sur le livret « Ma retraite : à quel âge ? » de l’Assurance retraite, on peut lire : « Pour ma retraite, je clique, c’est plus pratique ! » Ben non ! Il est avéré, information donnée par une gestionnaire CARSAT, que cohabitent deux fichiers informatiques nationaux rendant délicate la gestion des dossiers, y compris pour les professionnels et donc pour la synchronisation des dossiers. Inadaptation ou défaut de conception des outils informatiques ?

Etc. Chacun(e) de nous pourrait allonger la liste.

Ces exemples montrent que la difficulté de l’accès aux droits sociaux et au service public ne se résume pas seulement à la fracture numérique ou à l’illectronisme, mais interpellent aussi le sens des responsabilités et la conscience professionnelle adossés à toute fonction, à une mission à remplir par un agent ou un prestataire, pourtant bien présents à chaque étape du processus. Il y a là, me semble-t-il, une prise de conscience collective à opérer. Peut-être un début de réponse.

Pour l’heure, il y a sur le terrain des solutions comme Emmaüs Connect, des ateliers de l’association Kocoya pour se familiariser avec les outils informatiques, etc. Certains opérateurs de téléphonie proposent des solutions de connexion à coût minoré selon un critère d’éligibilité et il y la mise en place des espaces France Services sur tout le territoire (environ 2 000 actuellement) à moins de 30 min de chez soi et peut-être la mise en place gouvernementale de la « solidarité à la source ». Et, ne jamais oublier le recours au Conseil de l’Europe qui interpelle les États, voire les sanctionne par la voix d’associations caritatives. Les espoirs sont permis.

Sophie Gava

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