Le droit canonique des procès mis à mal

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Lorsqu’en 2005 j’assignai la Caisse d’Assurance Vieillesse, Invalidité et Maladie des Cultes (Cavimac) devant un Tribunal de la Sécurité sociale, la juriste de la Caisse écrivait « Droit canonique » avec une majuscule et « droit civil » avec une minuscule. Cette propension du culte catholique à ériger son droit au-dessus du droit français est qualifiée « d’orgueilleuse illusion », par Maitre Juliette Gaté. Sa tribune toniquei, classée actualité « à vif » par l’éditeur, est consacrée aux tribunaux ecclésiastiques par lesquels le Code canonique entend juger ses membres coupables d’abus ou sanctionnables pour telle ou telle raison. Au-delà de cette contribution particulièrement autorisée, mais qui se limite au droit pénal, qu’en est-il du droit tout court que l’Église de France prétend appliquer à ses membres institués, à ses salariés et à ses bénévoles ?

1) L’Église n’est pas une société parfaite !

Par le Journal La Croix l’auteure de la tribune, se présente : « simple baptisée, engagée avec joie dans les petites actions catholiques, mais aussi docteure en droit et avocate, et s’intéressant aussi à ce titre à l’Église ». Son audience est importante dans le diocèse d’Aix et Arles comme « Responsable du service des pauvretés et membre de la Fraternité missionnaire diocésaine » et comme fondatrice de « l’École des témoins » essaimant dans d’autres diocèses.

Cette juriste s’en prend au concept de « société parfaite » que Léon XIII définissait dans l’encyclique IMMORTALE DEI :  l’Église « constitue une société juridiquement parfaite dans son genre, parce que, de l'expresse volonté et par la grâce de son Fondateur, elle possède en soi et par elle-même toutes les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action (2)». Elle n’a pas besoin des États pour « vivre » et « se réguler »… explique Juliette Gaté. Elle constate ensuite une pure fiction et reproche aux théologiens, comme aux canonistes de continuer à s’en prévaloir. Prétention illusoire que l’Église catholique aurait, d’avoir « tous les attributs d’un État, sans en être un, l’Église n’étant pas le Vatican. L’Église-société-parfaite a ainsi un droit propre, dont relèvent ses membres du monde entier. » Or ce droit ne peut être qu’un simple « droit disciplinaire » devant les tribunaux de la République, comme d’autres règlements instaurés par des personnes morales ou privées.

Les juristes catholiques sont renvoyés aux études qu’ils ont, aussi, dû entreprendre en première année de Faculté de droit étatique : « seuls les États détiennent la légitimité permettant de rédiger un droit pénal qui, de surcroît, hors quelques nuances, ne s’appliquera que sur leur seul territoire ». Constat également valable pour le droit civil, faut-il le rappeler.

2) Les procès canoniques ne respectent pas les normes fondamentales

La charge devient sans appel à propos des tribunaux ecclésiastiques : « parce qu’il n’est pas possible de réglementer et juger des personnes sur le territoire français, même par un droit disciplinaire, sans respecter les normes fondamentales en vigueur en France et en Europe. Or, unanimement, le droit canon fait fi de nombreuses normes découlant des droits de la défense et du droit à un procès équitable : procédure contradictoire, présomption d’innocence, prévisibilité, durée limitée et précise des peines, tribunal impartial, place des victimes dans la procédure, principe non bis in idem… »

La juriste va plus loin en dénonçant des « mesures de façade, ‘’anti-intrusion’’ », lorsque les évêques vont à la rencontre des « Procureurs » pour éviter des intrusions plus poussées dans les secrets de leurs diocèses : « Les ‘’protocoles’’ avec le parquet, instruments juridiques en vogue, sont jetés comme de la poudre aux yeux en gage d’une coopération, alors même qu’ils ne sont en droit que des déclarations d’intention, sans force juridiquement contraignante et ne changent rien au droit au secret. Les promesses de celebret informatisé faites par la Conférence des évêques de France, sorte de casier ‘’judisciplinaire’’ portatif, interrogent plus quelles ne rassurent ».

 Maître Gaté conclut par le procès engagé par Mère Marie Ferréol de Pont Callec, sanctionnée par un décret de Rome aujourd’hui en délibéré au Tribunal de Lorient  : « Faute de retour à la raison, une religieuse vient d’oser ouvrir de force la porte trop longtemps restée close entre l’Église-société-parfaite et le monde. En Bretagne, elle a choisi de contester, des années après, devant les juridictions civiles, les conditions de sa ‘’réduction à l’état laïc’’ (dixit) par l’Église. Il faut guetter ce que diront les juges français de la légalité de cette procédure canonique ». Jugement prévu le 29 novembre 2023. (3)

3) Quand l’Église de France persiste et signe

Quel que soit le rendu du jugement de Lorient, de nombreux Tribunaux et Cours d’Appel se sont prononcés dans des affaires opposant le droit canonique exhibé face au droit civil. Si des tribunaux ont pu admettre une certaine reconnaissance de ce droit interne en termes de normes disciplinaires, le refus devient catégorique dès lors que l’ordre public est en jeu. Ainsi la loi de 1905 accorde aux cultes la liberté de s’organiser mais « sous réserve de l’ordre public ».

 Pourtant les professeurs des Universités catholiques, en particulier à la Faculté droit canonique de Paris et les juristes qui ont son aval au sein de la Commission consultative pour les agréments au régime social des cultes, ces juristes donc, continuent à décider des affiliations par le droit propre des cultes estimés « reconnus ». Ils n’hésitent pas à prendre des décisions allant à l’encontre de l’ordre public pour satisfaire ces derniers. Ainsi la loi du 2 janvier 1978, issue de la généralisation de la Sécurité sociale à tous les français, oblige les institutions cultuelles, y compris les sectes, à affilier leurs membres à la Cavimac, s’ils ne sont pas couverts pour cette activité cultuelle, par une autre Caisse de Sécurité sociale.

Dès la mise en place de cette loi, le culte catholique, en particulier, avait voulu soumettre les affiliations au droit canonique, privant notamment les membres des « communautés nouvelles » de toute protection sociale, au prétexte qu’elles étaient « associations de fidèles ». De même, il refusait les séminaristes et novices au prétexte que les premiers n’étaient pas encore « tonsurés/diacres » ou que les seconds n’étaient pas « profès ». C’est comme si, dans une entreprise, l’embauché à l’essai ne pouvait bénéficier de la protection sociale, ou encore que telle ou telle catégorie de personnel pouvait également en être soustraite. Des milliers de personnes se trouvent ainsi privées de droits à pension retraite au moment où elles demandent la liquidation de leurs trimestres (4). Depuis 2005, l’APRC (5) a conduit plus d’une centaine de procès, confirmés en Cour d’appel et Cassation, pour démentir toutes ces prétentions fondées sur le droit canonique et la liberté mal apprise de la loi 1905… parce que la loi du 2 janvier 1978 relève de l’ordre public.

Outre ces procès devant les Tribunaux de la Sécurité sociale, de plus en plus de contentieux sont justement introduits devant les Conseils des prudhommes, soit pour contester une rupture de contrats « salarié », ou le bien-fondé de contrats dit de « bénévolat » défendus comme « mission », au mépris parfois du droit du travail.

 La toute prochaine Assemblée Plénière des évêques à Lourdes va prendre les décisions de « restructuration » s’appliquant aux services de la Conférence des évêques mais surtout aux regroupements plus ou moins dévoilés des services diocésains à l’échelon métropolitain ou provincial. Comme toujours, le langage est feutré et se veut « pastoral », désormais « synodal » avec l’aide du Cabinet-conseil Nexus comme « facilitateur » : « Quelques pistes se dégagent : renforcer le rôle des Provinces, travailler à tous les niveaux plus synodalement, simplifier nos structures. […] Nous ne sommes pas au bout du chemin, mais un chemin est possible et il a été balisé. Il nous reste à le parcourir étape par étape. Le processus synodal engagé nous y aidera » (6). Les réflexions sont en cours depuis plus de 5 ans ; les décisions ont été retardées par les conséquences du rapport Ciase. Elles sont devenues d’autant plus urgentes du fait des finances en chutevii. A présent le rouleau compresseur avance notamment avec, en première ligne, les « laïcs en mission ecclésiale (LEME) », comme variables d’ajustement. Un autre rouleau compresseur s’impose aussi pour l’Église de France celui de l’ordre public !

Jean Doussal

(1) La croix : l’Église catholique continue de considérer qu’elle n’a pas besoin des États pour se réguler
(2) Vatican : lettre encyclique de S.S. le pape Léon XXIII
(3) France bleu : une religieuse bretonne attaque un cardinal en justice pour son bannissement après 34 ans dans la congrégation
(4) L’importance de cumuler un nombre de trimestres suffisants pour partir en retraite à l’âge légal a un impact sur les droits acquis pour les autres pensions : non seulement la pension issue des cultes est diminuée mais aussi les pensions obtenues des autres régimes. Avoir le nombre de trimestres requis, c’est pouvoir partir à l’âge légal, sinon il faut partir à 67 ans voire bientôt 70 ans…
(5) Voir son site APRC En exergue cet appel : « Vous êtes ou vous avez été ministre du culte ou membre d’une collectivité religieuse. À ce titre, vous êtes concerné par la Caisse d’assurance vieillesse et maladie des cultes (Cavimac). Quelle que soit la durée de votre activité religieuse, vous vous posez des questions sur vos droits à la retraite, espérant que vous aurez de quoi vivre convenablement ».
(6) Communiqué final de l'Assemblée plénière des évêques de France 2021
(7) Voir notre dossier Golias magazine n°207 Enquête sur l’indemnisation des abus Vers une faillite des diocèses ? Nov dec 2022 et Golias Hebdo n°789 de cette semaine « Indemnisation des abus : les millions qui n’ont pas été versés ».