Pourquoi l’Eglise de France peut payer

Pourquoi... 

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Sur les ondes en particulier de France inter, mercredi six octobre 2021, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques, pensait les difficultés en vue d’indemniser les victimes, quasiment insurmontables. Son argumentaire était limité au « denier de l’Église ». Il le tenait comme seule ressource et par ailleurs il considérait celle-ci comme obligatoirement affectée aux traitements des prêtres et aux salaires des laïcs, du fait de la loi 1905. A notre avis, c’était un peu court pour justifier que l’Église de France était dans l’incapacité d’indemniser. Par exemple peut-on dire que les « offrandes tarifiées » réclamées aux mariés et aux familles en deuil sont des « dons » ? Ceux qui les paient les rangent dans l’ensemble des « services » exigés pour fêter leur mariage et assumer les obsèques à travers la facture des Pompes funèbres. De façon plus certaine, les intérêts des placements financiers, les ventes de biens et services (cierges, documentation, cotisations de formations et catéchèses etc.) font partie des activités paroissiales, sont-ils « dons des fidèles », et par là interdits pour servir aux indemnisations ? Une seule ouverture semblait possible : l’immobilier mais pour dire aussitôt que les immeubles possédés sont nécessaires et que les frais qu’ils nécessitent, utilisent le tiers des disponibilités diocésaines. Au demeurant donc que des impossibilités à l’horizon pour satisfaire à l’exigence de justice. Au journaliste demandant si des « provisions » avaient été constituées, le président tombait presque des nues… « on ne savait combien on allait devoir mais chaque évêque, a versé à titre personnel une quote-part sur ses économies »… Lorsqu’il nous est répété à chaque appel au denier de l’Église, que l’évêque, comme ses prêtres, touche autour d’un SMIC brut on ne peut qu’en arriver à beaucoup « d’incrédulités » face à la capacité et peut-être à la volonté des « Pères évêques » d’entrer dans un processus d’indemnisation.

 

Notre propos sera donc d’éclairer ce à quoi toute entreprise, et au fond tout ménage, est confronté dans la vie séculière : pour faire face à de grosses dépenses, ceux-ci épargnent, provisionnent et ont recourt à des organismes de crédit… La vie normale en somme…Au titre de celle-ci, il nous faudra d’abord rappeler une donnée communément admise : les dommages intérêts, et les crédits doivent être « payés » sous peine de subir faillite et ruine, nous montrerons ensuite que les techniques comptables permettent de recourir à des « emprunts », nous interrogerons la réalité de ce que l’Église de France érige en modèle à savoir la « péréquation »i, enfin nous irons voir d’un peu plus près les concepts «d’immeubles nécessaires ou difficilement vendables… ».

i Au niveau du clergé diocésain la « péréquation » consiste à rassembler en un pot commun, ce que chaque prêtre reçoit (éventuellement salaire pour ceux qui sont professeurs, ou travaillent à temps partiel, indemnités d’aumônerie, et surtout retraite de la Cavimac). A partir de ce fonds commun, le diocèse reverse à chaque prêtre un traitement au moins égal à un minimum garanti autour du Smic brut. Cette pratique longtemps réclamée à l’époque du Concile est devenue la règle, mais les tentatives pour une même règle entre paroisses et surtout entre diocèses et congrégations se sont heurtées à des oppositions farouches… chacun tenant à sa cagnotte ou à sa cassette.

1) Parce qu’elle doit payer

Ainsi abordons d’abord la question sous cet angle paradoxal : "Elle peut payer parce qu'elle doit payer !". Lorsque la responsabilité d’une entreprise est confrontée à un grave sinistre impliquant des dommages intérêts, trois solutions sont possibles, mobiliser les réserves et les provisions constituées, recourir à un prêt bancaire, déposer le bilan. Le dépôt de bilan, n’efface pas les dettes, il organise sous tutelle leur apurement et permet leur échelonnement. Si l’entreprise n’est pas solvable il est procédé à la liquidation de tous les biens, si cette liquidation n’est pas suffisante, l’entreprise n’est pas pour autant libérée de ses dettes : lorsque le débiteur revient « à meilleure fortune » ses créanciers peuvent à nouveau réclamer leur dû. En justice républicaine, l’exigence de remboursement « jusqu’à la ruine » est si forte qu’au décès, l’obligation s’impose aussi aux héritiers, sauf renoncement à la succession.

 

Prenons un autre exemple : condamné pour crime, Jonathan Daval devra indemniser la famille et les avocats. Dans un premier temps la maison qu’il avait en indivision, sera vendue. Si cela ne suffit pas et qu’il est en prison, il est fait appel au « fonds de garantie » chargé d’avancer immédiatement les sommes dues aux avocats et aux victimes ; ensuite Jonathan Daval devra rembourser au fonds, qui s’est substitué à lui, les sommes avancées. i « Pour s'acquitter de leur "dette", les condamnés peuvent notamment travailler en prison, mais c'est l'administration pénitentiaire qui gère le budget des détenus et qui a l'obligation de le diviser en trois parties, explique Ouest France : une part est attribuée au détenu pour qu'il s'achète des biens ou loue une télévision par exemple, une autre est destinée à préparer sa sortie de prison, enfin, une troisième partie est prévue pour l'indemnisation des parties civiles. »

 

Jean Marc Sauvé a tenu à être clair par rapport à l’épiscopat. Celui-ci se disait disposé à « contribuer », à faire des gestes, à agir en « équité » et « charité » selon de droit canonique, mais sans aller au bout de la logique juridique qui s’impose selon la « Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église » (CIASE)ii La réponse épiscopale n’étant pas satisfaisante, le Président de la Commission devient incisif : « Il ne s’agit pas d’un don, mais d’un dû ». Enfonçant le clou il précise dans ses interviews, dont celle-ci rapportée dans le journal Le Monde : « C’est d’abord une responsabilité juridique, tant pénale que civile. Elle vaut « à titre individuel, à raison des fonctions exercées » comme « pour l’ensemble des personnes morales qui composent l’Eglise ». Ce peut être une responsabilité pour les fautes personnelles commises mais aussi, et c’est là une précision qui risque de heurter dans la hiérarchie, « du fait d’autrui, en raison du lien juridique existant entre le prêtre auteur du crime ou du délit et l’évêque de son diocèse »iii.

 

Ah, la propension de l’Église catholique à parler de « don » et de « charité » ! Le Président de la Conférence des Évêques a cru clore le débat en affirmant qu’on ne pouvait pas disposer à notre guise des « dons des fidèles », la loi 1905 nous l’interdisant ! Mais les ressources de l’Église se limitent-elles à ces « dons », ne sont-elles pas alimentées par d’autres catégories ? Nous y avons déjà fait allusion, nous y reviendrons. Pour l’heure concluons ce premier point : l’Église de France peut payer, parce qu’elle doit payer, à moins de choisir le dépôt de bilan et, comme elle ne le fera pas, comme elle sera obligée de ratifier les chiffres qui lui auront été assignés, nous pouvons affirmer qu’elle peut payer : toutes les discussions pour ne pas le faire se heurtent au rapport qu’elle a commandé, à l’opinion publique dans son ensemble et, plus prosaïquement, aux réalités comptables que nous allons exposer.

i https://www.lavoixdunord.fr/1034275/article/2021-06-24/comment-jonathann-daval-insolvable-va-t-il-faire-pour-rembourser-les-165-000eu
ii https://www.ciase.fr/
iiihttps://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/responsabilite-de-l-institution-indemnisation-des-victimes-gouvernance-les-preconisations-de-la-commission-sur-les-abus-sexuels-dans-l-eglise_6097198_3224.html

2) Parce que les techniques comptables apportent les solutions

Nos premières réflexions conduisent à cette première conclusion : « Dépôt de bilan, ou mise en place d’un prêt bancaire ». Voyons comment les choses peuvent se vérifier dans le cadre d’un diocèse précis, à savoir le nôtre. Pour expliquer la mécanique comptable, nous supposerons que ce diocèse doit dégager rapidement la somme de cinq millions d’euros pour faire face aux indemnisations des victimes du Morbihan, hypothèse d’école nous tenons à le rappeler, mais précisément dans le but d’en faire un « cas d’école ».

 

La publication des rapports comptables au Journal Officiel est une obligation pour tous les diocèses sous peine d’amendei. J’y accède suivant la procédure décrite en note. Je me rends d’abord devant le tableau « bilan » (colonne « actif »). La surprise est immédiate : « Comment Mgr Centène pourrait-il dire qu’il ne peut faire face à un règlement de cinq millions, alors que je constate cinquante millions de Valeurs de placements et sept millions cinq de « disponibilités » ? Soit pour le chiffre d’indemnisations réclamées, le dixième de ce que possède déjà le diocèse en valeurs de placement !

 

Voici un argument qu’un banquier comprendrait : les comptes de l’Association diocésaine de Vannes rassemblent et cumulent les disponibilités et valeurs mobilières appartenant à chaque paroisse et établissement qui la composent. Ce qui d’ailleurs est précisé plus loin dans le rapport : 281 paroisses, le Sanctuaire de Sainte Anne, les 13 services diocésains, et les 6 doyennés de secteur soit en tout 301 établissements. Donnée intéressante pour le banquier éventuellement prêteur, car d’une part il peut offrir pour ces entités ses propositions d’épargne et, d’autre part, il peut faire un prêt gagé sur ces fonds qui pourraient être mobilisés en cas de non remboursement. Il note d’ailleurs qu’un confrère a déjà pris un nantissement pour sept millions sur ces valeurs de placement et que, si celles-ci avaient donné lieu en 2019 à une dépréciation de quatre millions (information également présente dans ce rapport), ces valeurs ont pu beaucoup progresser en 2020 et 2021, car notre banquier sait les remontées boursières des années 2020 et 2021, sous réserve de la fin de cette dernière année !

 

En outre, plus haut dans la colonne « Actif », notre expert a déjà vu qu’il pourrait hypothéquer jusqu'à vingt-et-un millions de biens immobiliers à moitié amortis, mais dont il pressent des plus values, sinon certaines, du moins plus que probables. Fin observateur, il aura d’ailleurs déjà observé côté « Passif » que des confrères ont pu procéder à des prêts garantis pour quatre millions et qu’il sera amené à demander des explications sur les quatorze millions de dettes qu’il découvre un peu plus bas et que, pour l’heure, il trouve sans véritable explication dans les annexes, sauf à penser qu’il s’agit des relations entre les différents «établissements », comme vu plus haut à propos des regroupements de toutes les épargnes et disponibilités. Désolé pour cette valse des millions du diocèse de Vannes, mais c’est ainsi que se comptent les deniers dans notre diocèse !

 

Pour notre banquier, le bilan est a priori engageant. A présent, il va chercher à mieux cerner les « charges » et les « produits », pour déterminer de quelle manière le prêt qu’il pourrait proposer devrait être échelonné dans le temps par échéances annuelles. On n’en arrive à évaluer l’objection de Mgr Eric de Moulins-Beaufort : les diocèses vivent uniquement des dons, assimilés au « denier de l’Église » que la loi de 1905 ne leur permettrait pas d’utiliser pour indemniser les victimes.

 

Dans les « produits » ou recettes de notre diocèse (cf. « tableau des résultats »), la part du denier fait partie des rubriques « collectes », « cotisations » et autres produits soit un total supérieur à douze millions… Si la collecte du « denier de l’Église » dans le Morbihan était de cet ordre ce serait une merveille… En réalité il y a aussi les quêtes et le « casuel », c'est-à-dire, pour celui-ci, les « offrandes tarifées » à l’occasion notamment des mariages et des obsèques. N’est-ce pas jouer sur les mots que de qualifier celles-ci de « dons des fidèles », alors que pour ceux qui les paient il s’agit tout simplement de prestations de « services », faisant partie des autres prestations liées aux mariages et aux enterrements ?

 

Peu sensible à cette sémantique, notre banquier se penchera davantage sur l’évolution probable de ces services religieux, pour les années à venir, avec une certaine suspicion. Mais globalement il sera rassuré par les revenus des valeurs de placement et la capacité d’amortissement… verdict final : il acceptera le prêt de cinq millions remboursables en quinze ans autour d’un taux de 3% soit 414 348 € par an, un prêt compatible avec la situation de cette association diocésaine et la règle de « pas d’appel aux dons des fidèles ».

 

Voyons si cette dernière contrainte est bien respectée : les quinze annuités, peuvent être affectées à deux rubriques. En effet, les comptes de l’Association diocésaine de Vannes, font état de lignes « vente de marchandises moins achats+Productions de biens et services » pour un net de 2 003 920 € et, par ailleurs, de produits financiers dont il convient de déduire les charges, soit un apport net de 864 704 €. En forme de clin d’œil, nous posons la question : s’agit-il encore de « dons des fidèles » ?… L’association diocésaine de Vannes peut donc emprunter pour indemniser ses victimes potentielles…

 

Le but de cette démonstration volontairement simplifiée, a pu montrer qu’un diocèse pouvait faire face objectivement et par un prêt, à l’obligation d’indemnisation. D’autres diocèses n’ont pas une telle capacité, mais tous le peuvent pour des montants plus ou moins conséquents, à charge par ailleurs d’envisager d’autres solutions : la péréquation étant l’une d’elle, en excluant la facilité démobilisatrice et déresponsabilisante que constituerait un Fonds de soutien. Chaque entité, suivant la CIASE, doit supporter une charge réelle et douloureuse de l’indemnisation. Au nom des victimes et dans le sens d’une véritable éradication, la Commission tient à la vertu salutaire d’une contrainte ressentie à tous les niveaux de la gouvernance ecclésiale.

i Pour trouver celui de votre diocèse : rechercher d’abord par Google le numéro SIREN, de votre association diocésaine. Muni de ce numéro en l’occurrence ici 777901224. Par moteur de recherche, « cliquer » Journal Officiel, puis Associations, puis consulter les annonces et comptes annuels, une rubrique s’ouvre, j’inscris le numéro SIREN, les comptes annuels sont disponibles…

3) Parce que la péréquation s'impose

Sœur Véronique Margron, Présidente de la Conférence des religieux et des religieuses de France (CORREF)i dit avoir préféré attendre le rendu du rapport Sauvé avant de se prononcer : "Je proposerai, lors de notre Assemblée générale, à Lourdes, début novembre, que ce soit l'institution dont dépend l'agresseur qui soit chargée d'indemniser la victime."ii Certes nous savons le travail accompli par cette religieuse et la fermeté dont elle fait preuve à la fois pour dénoncer les violences sexuelles et les abus de pouvoirs dans l’Église, mais il faut aborder pleinement la question « du chacun pour soi et Dieu pour tous » qui sévit à la CORREF depuis des décennies voire des siècles, s’agissant des relations entre diocèses et congrégations. Un « chacun pour soi » face au « pouvoir » des évêques qui a pu se comprendre mais qui est devenu une injustice. Les supérieurs religieux se cachent un peu trop, derrière la parole des responsables de diocèse, quand ceux-ci doivent tout endurer et faire état de solutions dont, en fait, ils n’ont pas toujours la maîtrise.

Prenons l’exemple de la Sécurité sociale des cultes : la CAVIMAC : à la fin de 1977, les évêques furent, certes, à la manœuvre pour la mise en place de ce régime d‘exception pour ne pas dire d’exemption. Ils étaient acquis à une retraite au moins égale au « minimum vieillesse », mais l’opposition vint des religieux et religieuses qui se contentaient d’une retraite égale à ‘l’allocation vieux travailleurs salariés » (moitié moins) et qui imposèrent leurs vues. Le refus de cotisations ou des cotisations amoindries ont été régulièrement les demandes des congrégations, alors que les diocèses promettaient un alignement progressif sur les règles du salariat. Ce n’est pas le lieu de détailler une longue liste, mais prenons les deux derniers exemples en date : les diocèses ont accepté de cotiser enfin au régime de retraite complémentaire pour leurs prêtres en 2006, la CORREF a refusé pour ses ressortissants ; les diocèses étaient disposés à abonder un fonds de régularisation des arriérés de cotisations, la CORREF a refusé la mise en place d’un tel fonds iii

Revenons à la question des moyens d’indemnisation que peuvent mettre en place les instituts religieux. Le propos de Sœur Véronique Margron paraît tout à fait fondé, il n’est pas pour autant innocent : on sait les réticences des congrégations féminines à une péréquation en faveur des congrégations de religieux, portant en premier la responsabilité de ces abus sexuels iv. En outre, il y a dans cette confidence, un côté « suivez mon regard », le regard devant se porter du côté, par exemple, des frères et prêtres enseignants, ou encore des congrégations masculines tournées vers la jeunesse comme le scoutisme. Or quelle peut être la situation financière des congrégations ainsi visées ? Plus de recrutement ou si peu, en France, depuis des décennies, donc plus beaucoup d’actifs, mais des retraites d’enseignants mises en commun, des loyers perçus pour des écoles, collèges et lycées, confiés aux laïcs de l’enseignement catholique, des juvénats, noviciats et autres scolasticats devenus « maisons de retraite » pour les vieux jours de ceux qui sont restés, des maisons vendues ou en voie de l’être, une épargne accumulée sous forme de placements financiers « éthiques, s’il vous plaît ». Une situation totalement différente de celle des diocèses confrontés à la rémunération de leur personnel laïc, et de leurs prêtres, dont une part de plus en plus importante vient de l’étranger. Pour ces congrégations, il y a bien aussi un personnel laïc à rémunérer, mais pour le service des frères et des prêtres âgés.

 

Parler ici d’indemnisation par souscription d’un prêt n’est pas nécessaire, l’épargne est disponible et il reste de l’immobilier à vendre… Mais nous sommes déjà dans le quatrième volet des solutions que l’Église de France se doit désormais d’apporter. Sauf que le label « Église de France » est happé par les figures épiscopales, alors que les congrégations, communautés nouvelles ou associations de fidèles peuvent jouir de leur « reconnaissance » sans être obligées d’assumer le dur labeur du clergé diocésain. Lorsque des congrégations le font c’est toujours en monnayant leur bonne volonté et leur participation à la vie des diocèses et des communautés paroissiales. Le propos est volontairement très fort, parce que cela fait partie des « non-dits »… ou de ce qui se dit en catimini sur le terrain.

i https://www.viereligieuse.fr/
iihttps://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20211006-abus-sexuels-dans-l-%C3%A9glise-quelles-r%C3%A9parations-pour-les-victimes.
iii Pour aller plus loin sur toutes ces questions https://aprc.asso.fr/cms227/index.php Un nouveau site est en construction pour Noël sur toutes les questions relatives à la retraite des cultes. Il convient de rappeler par ailleurs qu’à la fois en termes d’affiliation et de cotisations qui auraient dû être versées, les tribunaux de la République ont eu à se prononcer depuis 2006 donnant raison aux assurés contre leur collectivité religieuse. L’actualité devenant aujourd’hui celle des membres de communautés nouvelles restés ou partis à qui il peut manquer jusqu’à 20 années non cotisées pour une retraite qu’ils ne pourront prendre qu’à 67 ans par le biais de l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées). Voir aussi notre livre Église de France, qu’as-tu fait de la caisse des cultes, Ed Golias, 2009 dont les attendus ont été régulièrement confirmés par les tribunaux.
iv Une réticence légitime et justifiée, sauf à ce que les congrégations féminines acceptent aussi d’investiguer sur les abus de pouvoirs et autres dérives sectaires dans leurs propres instituts.

4) Parce que les biens immobiliers existent

Dernier volet : « la solution miracle » qui fait l’unanimité : la richesse immobilière de l’Église de France. Le problème est d’abord de savoir où elle existe et qui en est propriétaire. La défense de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, avait quelque chose de pathétique mais elle doit être entendue. Cela fait maintenant au moins deux décennies qu’année après année les diocèses vendent des immeubles moins nécessaires, bien souvent d’ailleurs pour rendre le plus opérationnel possible ce qui subsiste. Il faut vraiment rendre hommage aux économes diocésains, notamment de province, qui se sont attelées à rationaliser cet immobilier en affrontant des intérêts contradictoires et les oppositions de nombre d’habitants. Dans les diocèses, petits et moyens, les marges de manœuvre sont devenues minimes, restent les grandes villes, dont Paris. Là l’injustice est double notamment par rapport aux diocèses de banlieue. Du fait de son histoire, le diocèse de Paris bénéficie de nombreuses acquisitions et de biens vendables à des sommets qu’aucun bien immobilier de villes moyennes ne saurait atteindre.

 

Interpelés sur ce point, les conseillers économiques « cathos » de la capitale ont tendance à esquiver tout questionnement, en disant que la grande majorité de l’immobilier de Paris appartient à différentes congrégations… ce qui d’ailleurs est vrai. Mais là encore depuis au moins deux décennies, des voix se sont élevées pour la mise en place d’un fonds qui recueillerait, dans un pourcentage à définir, le produit de toutes les ventes immobilières ayant lieu sur le territoire national. A charge ensuite, pour ce fonds, de faire face à un certain nombre d’obligations. Le tout, en rétablissant l’équité entre les grandes métropoles et les diocèses de banlieue et de province. Cette idée n’a jamais abouti, malgré des amorces, parce que c’est d’abord le « chacun pour soi » entre diocèses, et le « chacun pour soi » au niveau des congrégations religieuses. Comme toujours dans l’Église, on est prêt à la charité, un peu moins à l’équité, mais on rechigne à la justice civile et on suspecte la solidarité !

 

Aujourd’hui les laïcs sont sollicités pour aider les prêtres : on leur demande, avant tout, d’être bénévoles. On considère normal le traitement des prêtres mais on fait des laïcs salariés une variable d’ajustement des budgets diocésains. Dans le même temps les congrégations ne recrutent plus beaucoup en Europe de l’Ouest, mais elles concentrent d’abord leurs finances sur celles et ceux qui ont préféré demeurer dans leurs communautés vieillissantes. Ils continueraient, par la prière et la vie communautaire, le charisme des fondateurs… dans une aisance et souvent un confort, qui ne fut pas ceux de leurs saints patrons ! Les propriétés sont transformées en maisons de retraite de bon standing, bientôt celles-ci seront cédées à des « Groupes » en charge du troisième âge et de la dépendance, d’abord sous le  label « d’inspiration chrétienne », bientôt « au plus offrant ». Autre forme d’utilisation des produits de vente : ces congrégations font de grands sièges sociaux dans les immeubles et propriétés de leurs fondateurs et fondatrices, comme lieux de pèlerinage et afin d’y accueillir les frères et sœurs étrangers dont ceux devenus supérieurs et assistants « majeurs », le tout afin de préserver l’esprit des fondateurs ! (Cf la première partie de notre étude sur le marché des maisons religieuses.)i

 

Pour l’opinion publique, à tort ou à raison, l’Église de France est riche, notamment par son immobilier, les évêques ont beau rappeler, que les églises appartiennent aux communes, les cathédrales aux départements, les écoles libres à des associations, l’impression demeure et elle garde un fondement : les diocèses ont pu recevoir en legs des maisons, les congrégations et communautés nouvelles ont des propriétés souvent bien placées. Pour tout cela, le grand principe de « péréquation » reste un vœu pieux. La préconisation du rapport de la Commission Sauvé est« pas d’appel aux fidèles », et là on prétend que, dans l’Église de France, « tout est don », qu’en plus, la loi 1905 interdit que le denier de l’Église soit utilisé à autre chose qu’au « traitement » des prêtres et au « salaire » des laïcs (on notera le choix des mots…) ! Par là on voudrait conclure que l’Église de France ne peut pas indemniser. C’est occulter que les diocèses, qui vendent des biens et des services, perçoivent des locations et des intérêts de placements, que les congrégations ont accumulé des richesses qui servent avant tout à leurs anciens et, accessoirement, à leurs missions étrangères. Enfin, c’est oublier qu’une entreprise vivante, qui a un avenir, qui dispose de biens immobiliers et d’un bon portefeuille de placements que l’on met en gage, peut solliciter des prêts. Le remboursement de ceux-ci ne pèse en rien sur les fidèles si le produit des ventes de « biens et services » et si les intérêts et cessions de valeurs mobilières, sont affectés à leur apurement. Plus vite l’Église de France aura pris la mesure du rapport de la Commission Sauvé, plus vite elle aura mis en place les mesures d’indemnisation, plus vite elle pourra rétablir la confiance perdue et prendre le chemin d’une vraie synodalité.

Jean Doussal, 10 octobre 2021

i Voir notre dossier le Marché florissant des maisons de retraites religieuses in Golias Magazine N°197, mars Avril 2021 ,p 14-36.

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