Prières et… legs

Pour ses prêtres retraités, le diocèse de Perpignan, croit pouvoir minimiser son devoir d’assistance : « C’est un devoir moral plus que légal. Le diocèse a en charge le soutien et l’accompagnement de ses prêtres aînés et retirés qui ont tant donné pour l’Église locale et qui, pour la plupart, continuent à rendre de précieux services »i. Pourquoi une telle nuance apportée à une obligation qui est fondamentalement légale, tant du point de vue droit canonique, que du point de vue du droit des contrats civils en cas d’une éventuelle action en responsabilité devant un tribunal de la République ?

… En effet, le contrat « sui generis » liant le prêtre à son évêque à travers l’association diocésaine, implique le soutien et l’accompagnement du prêtre « incardiné » jusqu’à sa mort. Dans les comptes des Associations diocésaines ce devoir est « provisionné » ! Cette obligation va permettre de mieux éclairer le traitement réservé aux « victimes » de prêtres, et, plus avant, de questionner la cléricature sur les réalités sociales que bien souvent elle méconnait.

1) Fille de prêtre, elle clame justice

Au début de cet été, l’affaire a défrayé la chronique : Isabelle Ballesteros avait attendu quarante ans avant que son père-prêtre en exercice, ne la reconnaisse officiellement dans son testament. Mais un deuxième testament va la bouleverser. Le diocèse de Perpignan assure la fin de vie de ses prêtres dans l’EHPAD Saint Sacrement. Le « Père » affaibli est sollicité par les services diocésains pour un legs en faveur de l’évêché… Après avoir voulu justifier pendant un an et demi, ce deuxième acte testamentaire à son profit, le diocèse s’est désisté : « Suite à l’article de l’AFP paru ce 4 Juillet 2023 et ses répercussions concernant le testament du Père Lucien Camps, au profit de l’association diocésaine de Perpignan-Elne, cette dernière communique : Ne souhaitant pas polémiquer sur certains propos infondés voire malveillants qui ont pu être exprimés, Mgr Thierry Scherrer a pris connaissance de ce dossier à son arrivée le 18 Juin 2023 et a pris la décision de renoncer purement et simplement au legs dont le diocèse était bénéficiaire, ceci, au seul profit de Mme Isabelle Ballesteros ».

Propos malveillants ? France bleu a rencontré Isabelle, fille du prêtre, reconnue par lui après bien des cachoteries: "J'ai voulu me battre pour ma famille parce que ma mère a beaucoup souffert de la situation aussi. Je l'ai fait pour mes enfants, pour moi bien sûr, et aussi pour montrer l'exemple à tous ces enfants de prêtres qui sont dans la même situation que moi. Il ne faut pas se laisser faire, nous sommes des milliers. Je fais partie d'une association qui s'appelle "Les enfants du silence" et on se bat pour qu'un jour le pape décide de réformer l'Église afin que les prêtres puissent se marier. […]. Aujourd'hui, je suis soulagée. Cela va me permettre de pouvoir me reconstruire et de me sentir enfin la fille de mon père, officiellement. C'est une manière de sortir du silence et de dire j'existe, c'est mon père, c'était un prêtre, et j'en suis fière." ii

Un autre média rapporte le jour du décès, survenu Le 14 décembre 2021 à 3 heures du matin. La fille du prêtre Lucien Camps est là, à tenir la main de son père jusqu'à son dernier souffle. Le diocèse emmène le corps dans la chambre funéraire de l’évêché pour qu’il puisse être vu par les pratiquants qui souhaitaient se recueillir. "Le même jour à 16 heures, je me suis retrouvée devant un notaire." Isabelle s'effondre. Au-delà de la perte de son papa, on lui signifie qu'un autre testament la dépouille de la moitié de son héritage paternel au profit du diocèse. "C’était me voler mon père une nouvelle fois." Une de trop iii

 14 décembre 2021, - 4 juillet 2023 la procédure judiciaire aura mis 18 mois pour que le nouvel évêque sous pression médiatique, renonce au legs. Au-delà de cette situation scandaleuse, les legs réclamés aux prêtres ainés font partie de la gestion des carrières ecclésiastiques, mais ces legs à quoi peuvent-ils être affectés, de même ceux des religieux et religieuses, ainsi que membres de « communautés nouvelles » ?

2) Responsabilité collective des prêtres, religieux et religieuses

A nos amis prêtres, religieux et religieuses nous disons : oui vous avez le droit aux moyens financiers permettant une fin paisible. Mais les finances de vos institutions doivent aussi indemniser toutes les victimes du système « Église » et vos legs peuvent y contribuer.… Après le choc du rapport Sauvé, mercredi six octobre 2021, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques, pensait quasiment insurmontable l’indemnisation des victimes. Il considérait le « denier de l’Église » exclusivement affecté, du fait de la loi 1905, aux traitements des prêtres et aux salaires des laïcs. Les offrandes des fidèles ne pouvaient servir aux indemnisations sans l’aval des donateurs, de même le patrimoine mobilier et immobilier

Restons au denier de l’Église destiné aux prêtres, il concerne aussi les responsabilités que ceux-ci peuvent avoir, du fait de leurs actes… Lorsque les évêques seront invités à alimenter le Fonds Selamiv, presque tous (non sans rappel à l’ordre) feront un don personnel. Lorsque les diocèses devront participer à ce même fonds, ils verseront les legs reçus des prêtres décédés, coupables d’abus. Plus largement les legs de tous les prêtres pourraient être affectés aux indemnisations, car c’est le système clérical dans son ensemble qui doit assumer les réparations.

3) Prêtres et religieux indifférents au droit social ?

Longtemps méconnues, les victimes sont désormais gratifiées de paroles de repentance et de prières… qui ne coûtent rien. Alors qu’en matière financière les religieux protègent leurs intérêts, les victimes ont besoin de gestes plus impliqués. La gestion par le culte catholique de la Cavimacv illustre l’absence de véritable considération pour les assurés en tant que tels. Les représentants des diocèses et congrégations sont mandatés pour y représenter le « point de vue employeur » : limiter les cotisations qu’ils appellent « charges », tout en quémandant pour leurs institutions le maximum d’avantages financiers pris sur la solidarité nationale. Au fil des décennies les erreurs commises privent aujourd’hui de nombreux assurés de trimestres qui n’ont pas été cotisés pour leur retraite. En outre les cotisations versées de 1979 à 1999 donnent lieu à la retraite la plus basse de tous les régimes sociaux.

 Les prêtres diocésains, les religieux, les membres des communautés dites « nouvelles », ne sont pas initiés aux réalités financières de leurs institutions et de la société civile qui les entoure. Lorsqu’ils le sont, les points de vue sont biaisés au profit de ce qui est préférable pour leur collectivité religieuse… Ici encore un exemple concret celui des Laïcs en mission ecclésiale. Fut un temps où les « bonnes de curé » n’étaient pas rémunérées jusqu’au moment où des pionnières osèrent faire appel au Conseil des Prud’hommes. Peu à peu le point de vue syndical s’est imposé par une « convention collective » appliquée au salariat des laïcs au service de leur culte. Une avancée qui n’est pas dû au système catho lui-même…, mais à la reconnaissance institutionnelle d’une réalité empruntée à la société civile, que la « société parfaite-églisevi » a du mal à reconnaitre en son sein : l’existence autonome de représentations non cléricales… ou au service des personnes en tant que telles

4) Les bombes à retardement

Restons dans le concret du prêtre ou religieux faisant appel au bénévolat de ses fidèles… Dernier exemple en date : le Père Arnaud Alibert, Assomptionniste, s’en prend dans le Journal LA CROIX à l’interpellation qu’un député de la Seine Saint Denis adresse au Gouvernement à propos des 45000 bénévoles recherchés pour les JO 2023 «C’est souvent des jeunes qui vont travailler huit à dix heures par jour, six jours sur sept, et ne pourront même pas participer à une des grandes compétitions sportives (..) Quand on fait travailler les gens pendant 15 jours avec des cadences quand même assez soutenues, on les rémunère ».

Réaction outrée du prêtre, enseignant  de la Doctrine sociale de l’Eglise: « Vers quel monde ce genre de propos nous achemine-t-il ? Il ne serait plus possible de se mettre au service d’une réussite collective autrement qu’en étant rétribué ? C’est bien mal connaître l’être humain en vérité ! Il y a en nous, monsieur le député, un petit organe, infiniment précieux, dont la fonction est de transformer la peine que l’on se donne pour autrui en richesse intérieure et bonheur de vivre. C’est la grandeur d’âme. Endurante, elle a besoin de gestes répétés de don et de gratuité pour se maintenir en forme. »vii

Chaque prêtre, chaque religieux se trouve désormais confronté aux réalités du monde, lorsque licenciant un laïc en mission ecclésial jusque là salarié, ils remplacent ce laïc le plus souvent femme, par une autre femme à qui sont confiées les mêmes taches… mais sans rémunération et sans protection sociale. Cette femme vit sans doute sous la protection maladie de son conjoint, mais quel sera son sort en cas de décès de celui-ci ou en cas d’invalidité, en cas de divorce. Cette personne au moment de liquider sa pension vieillesse aura-t-elle tous les trimestres cotisés ?

Après avoir milité pour une intégration pleine et entière au Régime général de la Sécurité sociale, les prêtres et religieux (ses) « ainé (e)s » ont avant tout gérer leur Caisse particulière suivant les intérêts de leurs collectivités religieuses, négligeant celui des assurés en tant que tels. S’accommandant du système, ils ont été oublieux des victimes d’abus tout en connaissant les coupables. Une nouvelle génération de prêtres et de religieux leur succède, remet-elle davantage en cause le système? Le Pape a lancé un chemin synodal censé sortir le système catho de son « entre-soi »… le jeune clergé s’y est peu impliqué. Il rivalise d’ingéniosités pour solliciter les dons des fidèles… mais ces derniers s’y dérobent de plus en plus… Et l’adage « l’ouvrier de l’Évangile a droit à son salaire », il se le réserve… Les bénévoles laïcs découvriront un jour, que le système n’a pas su leur assurer la Sécurité sociale à laquelle ils avaient droit… Comme victimes après coup, ils rejoindront les « enfants » de prêtres, les victimes d’abus, les victimes de cotisations sociales non versées. A Perpignan, une grand’messe mobilisait en décembre 2021 le presbyterium du diocèse pour celui qui était « resté » … Lui et ses confrères étaient peu sensibles à « l’Envers du décor viii»… Alors, les legs des prêtres, des religieux et religieuses et membres de communautés nouvelles pour l’indemnisation des victimes ?… - un minimum de décence, en attendant une Église « parfaite ».

Jean Doussall

i https://perpignan.catholique.fr/le-diocese-prend-soin-de-ses-aines/

ii Témoignage recueilli par Tanguy Bocconi Mercredi 5 juillet 2023 France Bleu Roussillon

iii https://www.lindependant.fr/2023/07/05/video-a-perpignan-la-fille-dun-cure-brise-le-silence-de-leglise-mon-pere-venait-a-la-maison-le-samedi-soir-et-le-dimanche-matin-il-repartait-dire-la-messe-11322210.php

iv https://www.fonds-selam.fr/ Le Fonds de solidarité et de lutte contre les agressions sexuelles sur mineurs (SELAM) a été créé en 2011. Il a recueilli les vingt millions d’euros pour l’indemnisation des victimes. Montant insuffisant mais ce n’est pas le lieu d’en débattr.

v La Cavimac est un organisme de Sécurité sociale dédié aux cultes religieux instauré par la loi n°78-4 du 2 janvier 1978

https://www.cavimac.fr/nous_connaitre_page_de_presentation.html

La loi oblige à affilier à cette Caisse toutes les personnes au service d’un culte, qui ne sont pas couvert par une autre Caisse de Sécurité sociale. D’où l’allusion plus avant dans cet article que les LEME laïcs en mission ecclésiale ont vocation à être protégée par cette Caisse spécifique s’ils ne sont pas assurés par une autre Caisse

vi Le concept d’Église « société parfaite » relève de l’histoire du Droit Canonique. L’Église catholique se définissait comme tel, car à l’instar de l’État, elle avait ses lois, ses tribunaux pour les appliquer, ses ressources, ses instances de représentations.

vii Le Fr. Arnaud Alibert est le responsable de la communauté de Valpré. Diplômé d'économie, il enseigne la Doctrine Sociale Chrétienne

https://www.la-croix.com/Debats/Le-tresor-cachent-foules-2023-08-18-1201279225?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NEWSLETTER_CRO_EDITO&utm_content=20230819

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viii https://www.lenversdudecor.org/

Voir aussi :

https://www.avref.fr/

https://aprc.asso.fr/